L'express a écrit:
Si sa notoriété permet à Ai Weiwei de ne plus se taire, elle ne le protège pourtant pas contre les attaques du Parti.
Les autorités tentent de réduire au silence cet artiste courageux et volontiers provocateur. Mais plus elles s'acharnent sur lui, plus ses fans sont nombreux... L'Express l'a rencontré.
Ai Weiwei était prêt à se taire. Après quatre-vingt-un jours de détention, au printemps dernier, le silence était la condition imposée par ses geôliers en échange de sa liberté: l'artiste ne devait plus critiquer le gouvernement, plus parler à la presse, plus s'exprimer sur Internet. "Le système est impitoyable et les citoyens chinois ne sont pas protégés par la loi", observe-t-il d'une voix posée. S'il a accepté de garder le silence, ajoute-t-il, c'est pour s'extirper du trou noir que les autorités chinoises réservent à leurs critiques, privés d'avocat et sans contact avec leur famille.
Durcissement du régime
L'épouse d'Ai Weiwei interrogée par la police
L'épouse de l'artiste a été convoquée par la police pour être interrogée, a-t-elle annoncé mardi.
"Ils m'ont enjoint de ne pas quitter Pékin", a-t-elle déclaré. "Comment se fait-il que je sois interrogée par la police de Pékin? Cela devrait être le fisc", a-t-elle ajouté.
Lu Qing est la représentante légale de la compagnie, Beijing Fake Cultural Development, à laquelle le fisc chinois a imposé un redressement de 15 millions de yuans (1,7 million d'euros), qu'Ai Weiwei veut combattre en interjetant appel dans les prochaines semaines. Ai est arrêté le 3 avril dernier, à l'aéroport de Pékin, en plein durcissement du régime: alors que des nations arabes se soulèvent, le Parti communiste chinois entre dans une période de transition qui, à l'automne 2012, doit voir émerger au pouvoir une nouvelle génération de dirigeants. Des dizaines de critiques sont interpellés, souvent placés en détention extrajudiciaire et parfois torturés. Lorsqu'ils ont la chance d'être relâchés, c'est à la condition de se faire discrets.
Problème: Ai Weiwei, âgé de 54 ans, est certainement le plus médiatique de tous les critiques du régime, en Chine et dans le reste du monde. Son père, le poète Ai Qing, était une figure littéraire respectée qui a subi les foudres du pouvoir dans les années 1950, lorsque Mao Zedong broya les intellectuels "droitistes". Lui s'est d'abord fait connaître en participant au design du Nid d'oiseau, le stade olympique de Pékin. Sur le mur, à l'entrée de son atelier, sur plusieurs mètres est accroché l'ouvrage qui l'a lancé en tant que voix dissidente: une liste des milliers d'enfants morts dans le tremblement de terre du Sichuan en 2008, par laquelle il entendait montrer que les officiels locaux avaient détourné les fonds publics consacrés à l'éducation et construit des "écoles tofu", vulnérables en cas de séisme.
Pendant les interrogatoires, il ne fut question que de subversion du pouvoir de l'Etat
Libéré le 22 juin, Ai découvre qu'il est accusé de fraude fiscale et se voit imposer une amende de 15 millions de yuans, soit 1,7 million d'euros. Une somme "aussi élevée que le ciel", explique l'artiste, qui l'assimile à une rançon: "Ma détention est liée à mes activités politiques. Pendant les interrogatoires, il ne fut question que de subversion du pouvoir de l'Etat."
A peine rentré chez lui, alors que sa mère parlait déjà de vendre la vieille maison familiale, voilà que les jeunes se mobilisent sur Sina Weibo, le Twitter chinois, et parviennent à réunir en quelques jours l'équivalent en yuans de 1 million d'euros, assez pour payer la caution et faire appel. Certains glissent des billets rouges de 100 yuans dans des avions en papier qu'ils lancent par-dessus le porche de sa résidence. Ai y voit une forme d'expression du mécontentement des jeunes.
Un nouveau chef d'accusation lui est alors notifié, celui de pornographie. L'Etat reproche à Ai Weiwei d'avoir fait réaliser un portrait de lui et de quatre femmes nus, diffusé sur Internet. Ce subterfuge se retourne contre les autorités: en soutien à l'artiste, des milliers de Chinois publient des photos d'eux-mêmes dévêtus. Ce sont ces accusations qui le poussent à reprendre la parole. "J'ai essayé de me taire mais voilà que je suis accusé d'autre chose. Ils essaient de me salir", explique posément Ai Weiwei.
En 1995 déjà, il n'avait pas hésité à se prendre en photo lançant un bras d'honneur au portrait du Grand Timonier trônant à l'entrée de la Cité interdite, une oeuvre baptisée Etude de perspective. Il a multiplié les provocations et testé la tolérance du Parti, jusqu'à son incarcération. La mise au trou l'a refroidi, même s'il dit n'avoir "pas vraiment le sens du danger". Un trait de caractère qui trouve son origine, selon lui, dans l'éducation qu'il a reçue pendant la période la plus arbitraire de l'histoire de la Chine, celle de la Grande Révolution culturelle. "Pour autant, j'ai très peur, reconnaît-il. Je suis aussi vulnérable que le voisin d'à côté."
Un raté à l'heure où Pékin s'interroge sur les moyens d'améliorer son image à travers le monde
Ai Weiwei est une épine dans le pied du pouvoir. L'aura dont il jouit auprès des milieux chinois branchés, sa capacité à mobiliser le Web et sa reconnaissance internationale rendent plus périlleux les efforts de l'Etat-parti pour le faire taire. Sa détention a valu à la Chine le déploiement d'une immense banderole - "Libérez Ai Weiwei" - sur les murs de la Tate Modern, à Londres... Un raté à l'heure où Pékin s'interroge sur les moyens d'améliorer son image à travers le monde. A l'inverse, ses mésaventures prouvent qu'avoir son portrait en couverture de Newsweek ne protège pas des foudres du Parti, ce dont Ai Weiwei semble désormais conscient.
Il interprète sa célébrité par le désir qu'éprouveraient de nombreux Chinois à voir certains dire tout haut ce qu'ils pensent tout bas. "Peut-être qu'étant un artiste, ajoute-t-il, j'ai ma propre façon de penser et de m'exprimer. Cela aide sans doute un peu." Puis il conclut, ironique : "Je crois qu'il faut rendre crédit au Parti. Au fond, toute la gloire revient au Parti."