Li Bifeng, douze ans de prison

l'idée de ce forum m'a été inspirée par l'action d'Ai Weiwei concernant les disparus du Sichuan, je vous propose d'y donner le nom de chacun des dissidents emprisonnés, disparus ou libérés dont vous aurez des nouvelles

Li Bifeng, douze ans de prison

Messagepar laoshi » 17 Jan 2013, 16:22

Li Bifeng, voilà malheureusement un nouveau nom à inscrire sur nos "cahiers d'écolier", "sur toutes les pages lues"
"sur toutes les pages blanches", "sur les champs sur l'horizon", "sur les ailes des oiseaux" "et sur le moulin des ombres"...
Je ne sais pourquoi, je n'avais pas lu la nouvelle de la condamnation de ce poète chinois, chrétien et dissident, qui a rejoint la cohorte des fantômes de la liberté qui hantent les prisons chinoises.

Condamné à 5 ans de prison pour sa participation au mouvement démocratique de la Place Tian'Anmen en 1990, puis, une deuxième fois, en 1998, pour avoir rendu compte d'une manifestation ouvrière dans sa ville natale, Li Bifeng, incarcéré depuis septembre 2011, vient de se voir signifier une nouvelle condamnation, à 12 ans de prison cette fois, pour une prétendue "escroquerie". Comme dans l'affaire Ai Weiwei, on voit donc que l'Etat chinois se sert désormais d'alibis financiers pour justifier la persécution des dissidents.

En réalité, Li Bifeng serait suspect, aux yeux des autorités communistes, d'avoir favorisé l'évasion de son ami Liao Yiwu, rencontré en prison. Le lien entre les deux hommes serait renforcé par un élément idéologique : bien qu'athée, Liao Yiwu s'est intéressé à la persécution des chrétiens en Chine pendant la Révolution culturelle mais aussi et surtout dans la Chine contemporaine. Son ouvrage paru en Allemagne, God is Red, (Dieu est rouge), constitue un réquisitoire insupportable aux yeux des autorités chinoises.

Voici le témoignage de Liao Yiwu paru dans Le Monde en décembre 2012 :

Liao Yiwu, dans Le Monde a écrit: Liberté pour la littérature chinoise !

Au moment où l'empire communiste chinois clôt son 18e congrès, le poète militant Li Bifeng s'est vu infliger, le 19 novembre, une lourde peine de douze années de prison. Cela marque un vrai retour en arrière.
C'était en 1990 dans la troisième prison de Sichuan que j'ai fait la connaissance de Li Bifeng. Parmi la vingtaine de détenus politiques de la cellule, une complicité s'est établie entre nous fondée sur notre amour commun pour la littérature.

En dépit de divergences occasionnelles causées par des approches différentes de l'écriture, le lien étroit noué entre nous deux s'est prolongé après notre sortie de prison au milieu des années 1990.

CONCEPTION DIFFÉRENTE DE NOTRE TRAVAIL D'ÉCRIVAIN

Nous avons continué à échanger nos manuscrits mais aussi nos idées sur la vie. Nous avons chacun une conception différente de notre travail d'écrivain. Je suis d'un naturel plus pessimiste et, en dehors de quelques performances données dans les bars pour gagner ma vie, je préférais, quand je vivais encore en Chine, rester plongé dans l'écriture.

Li Bifeng est, lui, un optimiste qui se lançait dans diverses actions politiques. En 1998, Li Bifeng fut de nouveau incarcéré pour avoir rédigé un reportage sur la manifestation des ouvriers du textile de Mianyang, sa ville natale.

La police a été alertée lorsqu'il a réussi à transmettre à des organisations des droits de l'homme étrangères son reportage sur ce rassemblement collectif et pacifique qui était parvenu à interrompre le trafic sur l'autoroute.

Cette fois-là, le régime communiste a changé de tactique en l'accusant "d'escroquerie économique" pour justifier une peine de sept ans de prison.

ARRÊTÉ POUR LA TROISIÈME FOIS

En 2011, Li Bifeng fut arrêté pour la troisième fois. Deux mois après ma fuite secrète à l'étranger par la frontière sino-vietnamienne, la police locale chargée de la sécurité nationale téléphonait à Li Bifeng pour l'inviter à échanger autour d'une tasse de thé.

Comme c'est une pratique habituelle, il s'est rendu à leur invitation. Cinq policiers l'ont aussitôt saisi en se jetant sur lui. Plaqué au sol, il fut menotté avant d'être embarqué dans un véhicule de police. De septembre 2011 à mai 2012, il a été soumis à des interrogatoires répétés, avant d'être finalement condamné il y a peu.

La nouvelle de l'incarcération de Li Bifeng m'est finalement parvenue par hasard de sources chinoises. Installé en Allemagne, je l'ai reçue comme un coup de tonnerre, car Li Bifeng était soupçonné d'être impliqué dans ma fuite. La police présume que Li Bifeng a financé ou aidé cette évasion, directement ou indirectement.

En réalité, ma fuite n'a rien à voir avec lui. Mais la dictature a ressorti ses vieilles méthodes en s'appuyant sur une accusation fabriquée de toutes pièces. Li Bifeng a été de nouveau condamné et cette fois à douze ans de prison.

Alors que le rideau tombe sur le 18e congrès de l'empire communiste, que les luttes de pouvoir à l'intérieur du Parti connaissent une trêve, et que les nouveaux dirigeants soignent leur entrée en scène, à quelques milliers de kilomètres de Pékin, dans une bourgade nommée Shehong (province de Sichuan), le tribunal a annoncé, après un procès marqué par des interruptions d'audience de plusieurs mois, qu'une peine de douze ans était requise à l'encontre d'un obscur poète.

CONDAMNÉ À VINGT-QUATRE ANNÉES DE PRISON

Et ce, malgré la plaidoirie de son avocat qui avait souligné le caractère suspect des preuves et l'absence de victime. A 48 ans, Li Bifeng a été condamné à vingt-quatre années de prison.

A l'instar de Liu Xiaobo, récipiendaire du prix Nobel de la paix de 2009, également emprisonné, Li Bifeng fait partie des personnages symboliques de l'histoire de Chine depuis le massacre de Tiananmen.

Mais les deux écrivains diffèrent. Liu Xiaobo est le prototype de l'élite de l'intelligentsia chinoise. Il en appelle à la venue d'un Vaclav Havel ou d'un Martin Luther King chinois, en plaçant ses espoirs sur l'avénement d'un homme qui pourrait incarner la conscience de la nation.

Li Bifeng, lui, est le symbole des bas-fonds de la société chinoise. Et cette "majorité silencieuse" n'est pas dénuée de conscience sociale, ni du sens des responsabilités qui caractérisent les élites intellectuelles. Ils mènent une vie de souris, condamnés à vivre dans des égouts sordides.

Prises dans les rets de la pauvreté et de la dictature, ces souris peuvent s'astreindre au silence éternel en une seule nuit. Eux qui jadis ont peuplé des dizaines de villes chinoises, en manifestant, en défilant, guidés par le courage et le sens du devoir, pour une cause juste, en offrant leur corps aux balles des troupes envoyées par la loi martiale.

Bien que Li Bifeng m'ait apporté du réconfort lors des moments les plus durs de ma vie ces dernières années, notre relation ressemblait plutôt à celle de souris blotties les unes contre les autres pour se réchauffer. Cela ne s'est cependant pas accompagné d'un sentiment de confiance.

Deux mois avant mon évasion, soit à la même époque où Ai Weiwei a mystérieusement disparu alors qu'il devait embarquer dans un avion en partance pour New York, Li Bifeng m'a invité chez lui.

Après des discussions habituelles sur l'écriture, Li Bifeng m'a soudainement demandé s'il me fallait de l'argent. J'ai répondu que non. Li Bifeng m'a ensuite demandé si j'avais besoin de soutien pour la route. Ce à quoi j'ai répondu ne vouloir aller nulle part.

Après cette scène surprenante, je me suis félicité de ne pas m'être fait tirer les vers du nez par Li Bifeng.

LA PALME DE L'ÉVASION RATÉE

Parmi les détenus politiques persécutés après les mouvements du 4 juin 1989, Li Bifeng détient la palme du Livre des records dans le domaine de l'évasion ratée. Sa première tentative a échoué lorsque, au lendemain du massacre de Tiananmen, il avait voulu fuir la Chine en franchissant la frontière sino-birmane.

Il avait déjà pénétré le territoire birman de plusieurs kilomètres quand il fut arrêté par les forces communistes birmanes qui l'ont aussitôt livré aux communistes chinois. Tombé dans les mains de ces derniers, il fut battu comme plâtre et en garde encore des séquelles.

Cinq ans après, à sa sortie de prison, il a récidivé en choisissant de passer clandestinement la frontière sino-russe dans le nord-est de la Chine.

En attendant d'être caché dans un container, après avoir payé un passeur, il a surpris une conversation de ce dernier qui voulait le vendre en tant que travailleur clandestin dans la ville de Chifeng, située de l'autre côté du fleuve de Heilongjiang. Il s'est alors sauvé à toutes jambes.

Après la traversée de toute la Chine, il est descendu dans le sud jusqu'à Shenzhen. En cherchant à fuir à nouveau à Hongkong, il a rôdé pendant deux heures à proximité de la frontière sino-britannique avant d'éveiller les soupçons des policiers frontaliers. Il a rapidement été capturé.

MALCHANCEUX RÉCIDIVISTE

Li Bifeng a enchaîné encore trois ou quatre tentatives de fuite qui sont toutes tombées à l'eau. Ces échecs répétés m'accablent de chagrin même si toutes ces déconvenues ont bien quelque chose de risible.

Malchanceux récidiviste, chaque tentative de fuite de Li Bifeng fut vouée à l'échec. Pourquoi alors, comme le prétendent les autorités chinoises, m'en serais-je remis à lui pour organiser ma propre fuite ?

Mais, cruel et stupide comme il est, l'empire communiste chinois ne se préoccupe guère de démêler le vrai du faux.

Condamné cette fois-ci à douze ans de prison, Li Bifeng aura 60 ans quand il sortira. Il sera un vieillard, physiquement incapable de reprendre la fuite, avec la mort dans l'âme.

Même s'il arrive dans un pays de liberté, sans connaître le b.a.-ba d'aucune langue étrangère, à qui pourra-t-il encore être d'une quelconque utilité ?

Ces dernières années, la police a confisqué les créations littéraires de Li Bifeng, des manuscrits constitués de millions de caractères. La police a déjà eu le bon plaisir de ne lui rendre aucun de ses manuscrits. Mais pourquoi jeter en prison cet homme qui n'a aucun sens politique ?

Le nouveau président Xi Jinping devrait savoir, car son propre père a été emprisonné par Mao Zedong, qu'envoyer un innocent en prison ne fait que provoquer un élan de sympathie de l'opinion publique pour la victime.

J'espère que mon témoignage pour Li Bifeng laissera une trace dans les mémoires et qu'il suscitera un sursaut d'indignation en sa faveur.

REMETTRE EN LIBERTÉ LI BIFENG

Depuis mai 2012, le nombre d'intellectuels du monde entier qui ont signé l'appel pour la libération de Li Bifeng s'élève déjà à plus de 300. Je suis persuadé que le nombre de signataires de cet appel va augmenter lentement et atteindre une dizaine de milliers. Je demande au gouvernement chinois de remettre en liberté Li Bifeng.

Fabriquer des accusations injustifiées, traiter la vie d'un être humain comme un fétu de paille, priver la femme de son mari et le fils de son père, il n'y a rien de juste dans tout cela. S'il reste encore une once d'humanité aux personnes chargées du procès de Li Bifeng, elles sauront bien que cette condamnation ne leur apportera aucune satisfaction.

De surcroît, le plus dangereux pour le pouvoir en place, c'est bien de fabriquer de nouveaux ennemis pour l'Etat, encore et encore.

Liao Yiwu, écrivain chinois en exil

Ai Weiwei, artiste en résidence surveillée à Pékin; Ha Jin, écrivain installé aux Etats-Unis; Herta Müller, écrivain (Prix Nobel de littérature 2009) et Salman Rushdie, écrivain, ont lu le texte de Liao Yiwu et soutiennent sa démarche.

Traduit du chinois par Marie Holzman et Adèle Liu
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