par laoshi » 20 Jan 2013, 18:29
Je le constate encore une fois, les feuilletons chinois regorgent d'allusions littéraires dont on chercherait en vain l'équivalent dans nos programmes télévisuels. Sifflet de pigeon, que je revois avec un immense plaisir, est particulièrement riche en ce domaine.
Pour convaincre sa vindicative voisine de laisser son fils, Yanping, épouser sa propre fille, Xiaoju, le professeur Mi n'hésite pas à aller s'humilier devant elle ; il fait d'abord amende honorable en "reconnaissant" que toutes les persécutions qu'elle lui a fait subir (elle l'a dénoncé comme "droitier" pendant la Révolution Culturelle, ce qui lui a valu deux ans de laogai) n'étaient rien d'autre qu'un témoignage de sa bienveillance à son égard : "le chien mord Lü Dong bin, lui dit-il pour l'amadouer, il ne reconnaît pas les bonnes intentions" 狗咬吕洞宾不识好人心 [gǒu yǎo lǚ dòng bīn bù shì hǎo rénxīn].
Il tente ensuite habilement de lui vanter les moeurs de la "nouvelle société", qui reconnaît la liberté du mariage, en les opposant aux "moeurs féodales" qu'elle-même ne cesse de fustiger. Pour ce faire, il s'appuie sur L'Histoire du roc, plus connue sous le titre de Rêve dans le Pavillon rouge, de Cao Xueqin. Le roman, chef-d'oeuvre du XVIIIe siècle, raconte les amours contrariées de Jia Baoyu ("frèrot de Jade") et de sa cousine Lin Daiyu. Jia Baoyu sera contraint d'épouser Xue Baochai, au désespoir de Lin Daiyu qui mourra de chagrin. Lui-même finira par se faire moine.
La littérature chinoise, ajoute-il, est riche de telles "tragédies d'amour", parmi lesquelles "Le Paon vole vers le sud-est" et Liang shangbo et Zhu Yingtai, qu'il compare à Roméo et Juliette .
Le Paon vole vers le sud-est, en chinois 孔雀東南飞 [kǒngquè dōngnán fēi] est, m'apprend le Riccci, "le premier vers d’une ballade narrative d’un auteur inconnu de la dynastie des 东汉 Han de l’Est, relatant les amours malheureuses d’un homme obligé de se séparer de son épouse sous la pression de sa mère ; les deux conjoints se suicident de désespoir. Quant à la Romance de Liang Shanbo et Zhu Yingtai, en chinois 梁山伯与祝英台 [liáng shānbó yǔ zhù yīngtái], c'est le titre d'un opéra "qui raconte l'histoire d'amants désespérés, préférant mourir que d'être séparés", lit-on sur Wikipedia.
"ce sont de magnifiques tragédies d'amour, conclut le professeur Mi, elles racontent toutes la même histoire : comme les parents s'opposent au mariage de leurs enfants, ceux-ci deviennent fous et se suicident ; pour leurs parents, il est donc trop tard pour se repentir. Cela était inévitable dans la société féodale mais on est maintenant dans la nouvelle société, ce genre de tragédie ne devrait pas se renouveler..."
L'acariâtre chef du comité de quartier ne se laissera pas convaincre, évidemment. Toute imbue qu'elle soit de ses idées révolutionnaires et de la nécessité de liquider les "superstitions féodales", elle n'en est pas moins persuadée que la fille du professeur Mi est un "esprit de renarde" qui a "ensorcelé" son fils....
laoshi