un feuilleton sur le peintre Lang Shining

Les feuilletons chinois ne sont pas seulement une vitrine idéologique du régime ; ils sont aussi une source inépuisable de renseignements concernant l'histoire et la culture chinoises ; on y découvre des coutumes et des croyances anciennes ou contemporaines et de précieux documents pédagogiques sur l'art et la littérature

histoire d'oreilles

Messagepar laoshi » 12 Avr 2012, 10:13

Vous avez raison, Mandarine ! A ce petit jeu Bayrou gagnerait sans doute la palme. Non seulement parce qu'il a les grandes oreilles du Bouddha et donc du bonheur mais encore parce qu'elles sont si décollées qu'on les voit très distinctement quelque effort qu'il fasse pour les cacher (je précise que je n'ai rien contre les grandes oreilles, les miennes rivaliseraient presque avec celles de Bayrou).

Comme vous le dites, les auteurs et les artistes font flèche de tout bois lorsqu'il s'agit de désacraliser les icônes du pouvoir pour défendre la liberté de penser : pensons à Rabelais, qui faisait naître son Gargantua par l'oreille pour moquer l'Annonciation et le dogme de la virginité mariale en un temps où l'Eglise régnait en maître sur les consciences (l'image d'Epinal, quant à elle, a été plus souvent utilisée par le pouvoir comme vecteur de propagande, en particulier pour promouvoir le culte napoléonien).

Mise en éveil par le doigt irrévérencieux qu'Ai Weiwei pointe sur la Place Tian'Anmen (où, par le jeu de la perspective, le doigt semble plus grand que le portrait du dictateur, vénéré malgré les millions de morts qu'ont coûté au peuple chinois ses délires totalitaires), j'ai eu la curiosité de mieux regarder ce qu'il montre. .

Voici donc, en gros plan, le portrait de Mao qui y trône :

Image

Je constate que le Grand Timonier a bien ses deux oreilles et que le photographe a pris soin d'éclairer son front conformément au code de la lumière que m'a permis de découvrir le feuilleton. Nouvelle preuve que le règne de Mao s'inscrit dans la longue durée de la mythologie impériale.
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Portraits de concubines

Messagepar laoshi » 17 Avr 2012, 09:12

Un épisode truculent du feuilleton nous apprend que Lang Shining, non content de peindre les portraits officiels de l'Empereur Qianlong et de son épouse, dut aussi exécuter celui de ses favorites. Conformément aux exigences occidentales du portrait, le peintre donne à chacune la physionomie qui est la sienne au grand dam de ces dames, furieuses de voir leurs défauts exposés ainsi au grand jour. Chacune faisant corriger et recorriger son portrait selon les canons de la beauté en vigueur, les toiles finissent par ne plus ressembler à personne... et les concubines impériales sont toujours aussi furieuses. C'est alors que l'apprenti de Lang Shining conçoit un stratagème qui les contentera toutes : il suggère au peintre de réaliser une série de portraits conformes au "type" idéal que voudraient incarner les favorites et de n'en faire varier que d'infimes détails ; pour notre oeil occidental, la série est digne des portraits de Marylin Monroe par Andy Wharol mais les concubines sont ravies, chacune se dirige sans se tromper vers "son" portrait et se reconnaît parfaitement !
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Lang Shining, peintre de chevaux

Messagepar laoshi » 17 Avr 2012, 16:08

Le feuilleton met également en évidence le rôle de la peinture de chevaux dans la représentation du pouvoir impérial ; après avoir réalisé un portrait équestre du "quatorzième", le fils de Zhongzheng pressenti pour succéder à son père puis évincé au profit du "quatrième", Lang Shining se voit commander par l'empereur Qianlong une oeuvre représentant cent chevaux, tous différents et dans des postures différentes ! Travail de titan qui épuise le peintre mais dont la charge symbolique est essentielle à la compréhension du règne de Qianlong. Michèle Pirazzoli-T’Serstevens nous apprend en effet que, par-delà son amour des chevaux - lié, comme le tir-à-l'arc monté et la chasse -, aux valeurs mandchoues, l'empereur voulait célébrer les lettrés et son propre mécénat tout en exaltant sa puissance par la représentation des tributs reçus de ses sujets :

Michèle Pirazzoli-T’Serstevens dans Giuseppe Castiglione, peintre et architecte à la cour de Chine a écrit:

Quant à la symbolique du cheval, elle fut prégnante dès les premières peintures commandées à Castiglione dans les années 1720. Symboles de la grandeur de la civilisation chinoise, les beaux chevaux incarnent aussi les lettrés, hommes cultivés et bons serviteurs de l’État, qu’un gouvernement éclairé sait choisir et bien traiter. Ils constituent par là même un hommage à la sagesse du monarque. Enfin, les gras coursiers apportés en tribut sont symboles de loyauté envers l’empereur et de reconnaissance, de la part des donateurs, de la puissance de la dynastie.


Image

Comme le montre l'auteur, Lang Shining maîtrisait parfaitement cette symbolique complexe, ce qui suppose une culture chinoise approfondie, nourrie d'échanges intimes avec les lettrés de l'époque. Mais, là encore, Lang Shining ne se contente pas de copier les maîtres chinois, il ajoute son propre talent et les références de sa culture d'origine à la peinture chinoise qu'il a assimilée :

Image

détail du coin inférier droit

Michèle Pirazzoli-T’Serstevens dans Giuseppe Castiglione, peintre et architecte à la cour de Chine a écrit:
Son art part donc de la meilleure tradition chinoise et pourtant il la subvertit en quelque sorte en introduisant un certain nombre de qualités nouvelles qu’il emprunte à sa propre tradition. Il apporte d’abord à la peinture un sens plastique dû à une maîtrise remarquable à la fois de l’anatomie et de la perspective, servie par un luminisme discret mais efficace. Ses chevaux sont réels, saisis dans des mouvements naturels. Ensuite, il donne une sensibilité au rendu de la matière, de la luisance de la robe, des veines sous la peau, de la douceur et de la souplesse d’une crinière. Ce que Castiglione apportait encore, outre ces qualités picturales jamais exploitées à ce degré en Chine, c’est un accent nouveau mis sur l’image conjuguée du cheval et du souverain et, à travers le portrait équestre, un reflet de la charge idéologique qui s’attache à cette image en Occident.


Les peintures de chasse et de tir à l'arc monté, qui participent du même contexte, sont également évoquées dans ce feuilleton d'une grande richesse.
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Lang Shining, architecte de Yuanmingyuan

Messagepar laoshi » 17 Avr 2012, 17:04

J'ai appris également grâce au feuilleton que Lang Shining avait largement contribué à la conception de l'ancien Palais d'été, 圆明园 (圓明園en caractères classiques, pour ZhenZooNaiCha) [Yuánmíng Yuán] (le "jardin de la clarté parfaite").

Image

(source de l'image Wikipédia)

Ce vaste ensemble architectural, entrepris sous l'empereur Kangxi en 1707, était destiné au quatrième fils de l'empereur qui succéda à son père sous le nom de "Zhongzheng" et qui agrandit le projet initial à partir de 1725. C'est sous l'empereur Qianlong, à partir de 1747, que Lang Shining, "nommé architecte et responsable de la conception d’un parc de 400 hectares et de la construction d’un nouveau palais impérial", participa au projet. Si l'on en croit le feuilleton, il dessina en particulier les plans d'un palais de style mongol comme gage d'amour de l'empereur à une princesse capturée à la guerre. Je n'ai pu vérifier ce détail. Par contre, le feuilleton, fidèle à l'histoire, introduit un autre père jésuite auprès de Lang Shining, le français Michel Benoist, ingénieur en hydraulique, qui conçut pour l'empereur des jeux d'eau dignes de ceux de Versailles.

Le feuilleton attribue également à l'un des disciples chinois de Lang Shining un rôle important dans cette conception. Détail véridique ou non, je ne saurais le dire mais en tout cas des élèves du peintre italien ont réalisé des gravures des nouveaux palais à la demande de l'empereur (elles sont aujourd'hui conservées à Fontainebleau) après la mort de celui-ci :

Image

Image

un clic gauche sur les images pour voir la source

L'ancien Palais d'été, où résidaient habituellement les empereurs mandchous (la Cité interdite ne servant que pour les cérémonies les plus formelles), a été détruit en 1861 par les troupes franco-britanniques à l'issue de la Seconde guerre de l'opium, au grand dam de Victor Hugo, qui a dénoncé ce vandalisme d'Etat dans une très belle lettre que l'on peut lire sur CI, en français et en chinois.

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source de l'image, Wikipédia
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Re: un feuilleton sur le peintre Lang Shining

Messagepar mandarine » 17 Avr 2012, 17:44

hé oui , ce n'est pas ce que nous avons fait de mieux en Chine !Détruire un tel joyau !
Les autorités de votre pays,qui elles aussi pensent forcément à leurs intérêts,ne manqueront pas de comprendre combien le type de célébrité que leur vaut la persécution de personnes telles que vous les dessert Vaclav Havel à Liu Xiaobo
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une sélection des oeuvres de Lang Shining

Messagepar laoshi » 18 Avr 2012, 17:46

La plupart des oeuvres de Lang Shining étant conservées à Taipei, j'ai eu l'idée de faire une recherche sur le web avec les caractères traditionnels. C'est bien ainsi qu'on obtient le plus de résultats :
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Au-delà de la peinture chinoise

Messagepar laoshi » 23 Mai 2012, 08:01

Ce sujet sur la peinture chinoise me semble pouvoir intéresser au-delà de zhongguowenhua mais chut…. Je profite de l'occasion pour terminer mon compte-rendu, que j'avais laissé en plan.

Outre la peinture, le feuilleton nous donne un bel aperçu de la poésie chinoise et de belles leçons de diction poétique. Il nous renseigne aussi sur certaines coutumes, comme le jeu de la mourre, et sur certaines croyances, en particulier en ce qui concerne la Fête des Fantômes sur laquelle se clôt le chapitre des amours de l’Empereur et de la belle princesse mongole pour laquelle il a fait construire l’un des pavillons du Palais d’Eté. On apprend que cette fête, dont on trouve une longue description dans Le Pavillon des Pivoines, donne lieu à un carnaval : insoupçonnables au milieu des masques et des déguisements, les « âmes errantes », privées de tout dans l’au-delà faute de pouvoir accéder au statut d’ancêtres, peuvent revenir incognito au milieu des vivants pour profiter de cette journée d’abondance et calmer leur insatiable faim. C'est aussi l'un des traits du carnaval européen mais les âmes des morts y reviennent incognito pour restaurer la justice bafouée par les vivants plus que pour s'y repaître de mets de toutes sortes.
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Le Palais d'été en 3D

Messagepar laoshi » 22 Avr 2017, 16:46

Le Palais d'été, 圆明园 (圓明園) [Yuanmingyuan] dont Lang Shining fut l'un des concepteurs vient de nous être restitué en 3D au terme de 15 années de travail par le professeur Guo Daiheng et un groupe de plus de 80 architectes ; le résultat est somptueux, comme on peut en juger à ces quelques images empruntées au Quotidien du Peuple :

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