Michèle Pirazzoli-T'Serstevens dans Giuseppe CASTIGLIONE 1688-1766 Peintre et architecte à la cour de Chine a écrit:
Le Juruitu est la plus ancienne peinture de Castiglione faite pour le palais et datée qui nous soit parvenue. Il s’agit d’un rouleau vertical à l’encre et couleurs sur soie (H. 173 cm ; l. 86,1 cm), conservé au musée national du Palais de Taipei (fig. 4).
La peinture représente un arrangement floral dans un vase. L’arrangement comprend des lotus en boutons, en fleurs et
en graines doubles associés à des épis doubles de millet. Une inscription en haut à droite donne le titre de l’oeuvre et explicite les circonstances de sa création, sa signification et son symbolisme : « Nombreux signes de bon augure. En cette année de l’auguste avènement, toutes sortes de signes fastes sont apparus ; les céréales à doubles épis ont poussé dans les champs, les lotus à doubles fleurs se sont épanouis dans l’étang du palais. Votre serviteur Lang Shining a respectueusement observé et peint ces végétaux dans un vase pour commémorer l’heureuse réponse qu’ils expriment. Le 15e jour du 9e mois de la 1re année Yongzheng [13 octobre 1723], respectueusement peint par votre serviteur Lang Shining de l’ouest des mers. »
Le sujet de la peinture n’a pas été choisi par Castiglione et ne doit rien à la tradition occidentale. Il s’enracine au contraire au coeur de la pensée chinoise et participe de la notion de « résonance » par laquelle, selon la cosmologie corrélative, s’expliquent tous les phénomènes naturels. Le souverain reçoit son mandat du Ciel et ce dernier communique avec les hommes par l’intermédiaire de prodiges. À l’avènement d’un souverain légitime, et plus encore d’un homme sage, le Ciel « répond » par des signes auspicieux (apparition d’animaux fabuleux ou extraordinaires, de céréales ou de fruits miraculeux, de plantes ou d’objets divins). Puis, tout au long du règne, il confirme le mandat d’un gouvernement vertueux par des signes fastes et manifeste sa désapprobation par des signes de mauvais augure (calamités naturelles…).
En l’occurrence, la peinture Juruitu avait donc une connotation politique extrêmement marquée. Elle exprimait que l’accession de Yongzheng au trône était légitime et que cette accession annonçait un règne vertueux.
À ce niveau principal de signification venaient s’ajouter des jeux de mots qui accentuaient le message auspicieux. Le lotus « he » peut être compris comme un rébus pour un autre caractère homophone qui signifie la concorde. De même, le vase « ping » est un rébus pour « ping » qui signifie paix. Les Chinois ont toujours aimé jouer avec ces rébus, dans l’art décoratif, mais aussi dans la peinture d’« objets tranquilles », qui correspond à la nature morte en Europe, et qui est en Chine le plus souvent une peinture de voeux, associée à une célébration (changement de saison, anniversaire…).Le thème du Juruitu, avec ses différentes connotations – politique, symbolique –, a donc été dicté à Castiglione.
De même, l’inscription n’est ni de son inspiration, ni de sa main. Elle fut écrite en son nom. Sa signature est précédée du terme « haixi », de l’ouest des mers, mention que l’on trouve sur d’autres oeuvres de cette époque, mais qui ne fut presque plus utilisée sur les peintures plus tardives de l’artiste.
Le fait de dépeindre comme unique motif de la peinture un arrangement floral dans un vase n’était pas totalement nouveau en Chine en ce début du XVIIIe siècle. On le rencontre déjà chez de grands maîtres du XVIIe siècle comme Chen Hongshou (1599- 1652). Malgré tout, c’est un parti peu courant avant la fin des Ming, du moins dans la peinture lettrée. [...]on peut penser que ce motif, lié à la symbolique de bon augure, n’était traité en peinture que par les artistes professionnels. Les lettrés, eux, dans leurs peintures de fleurs, préféraient montrer des branches fleuries ou des fleurs non coupées, évoquées dans leur cadre naturel.
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