un feuilleton sur le peintre Lang Shining

Les feuilletons chinois ne sont pas seulement une vitrine idéologique du régime ; ils sont aussi une source inépuisable de renseignements concernant l'histoire et la culture chinoises ; on y découvre des coutumes et des croyances anciennes ou contemporaines et de précieux documents pédagogiques sur l'art et la littérature

un feuilleton sur le peintre Lang Shining

Messagepar laoshi » 28 Mars 2012, 17:13

Un nouveau feuilleton vient de commencer. Il raconte la venue en Chine de deux missionnaires jésuites du XVIII° siècle, dont l'un, Giuseppe Castiglione, deviendra le peintre Lang Shining et l'autre le médecin Luo Huaizhong (ou "Lo Huai-chung"). Je vous en dirai plus bientôt !
laoshi
Avatar de l’utilisateur
laoshi
Administrateur
 
Messages: 3912
Inscrit le: 06 Juil 2011, 06:23

Manières de voir, manières de peindre

Messagepar laoshi » 29 Mars 2012, 08:24

Malgré bien des défauts, le feuilleton est très instructif et même très pédagogique. Il nous apprend à voir la peinture chinoise à travers les étonnements et les bourdes de Giuseppe Castiglione, nommé Lang Shining en chinois "Homme des mers occidentales" ( en caractères traditionnels et en caractères simplifiés).

La première différence que met en évidence le feuilleton, c'est la différence du pinceau et du support. Le peintre italien est incapable de tracer un trait sur le papier de riz qu'on lui présente. Il fait, comme on le dit pour les petits enfants apprenant à écrire à l'encre, des "pâtés".

La deuxième opposition concerne le choix du sujet. En héritier de Murillo ou des frères Le Nain, Giuseppe Castiglione, à qui l'Empereur Kangxi (1661-1722) a demandé de lui montrer un portrait, choisit, sans malice, de faire celui d'un petit mendiant, ce qui déclenche la colère et l'indignation de l'empereur. Pour les Chinois, c'est le sujet qui est "beau" ou "laid" et non la manière de le peindre ; l'empereur, voyant d'abord dans la toile une provocation, une insupportable inversion des valeurs, ordonne donc que la toile soit brûlée. Mais, au-delà du sujet, la réaction de l'empereur témoigne d'une différence entre les deux manières de voir : il s'étonne des jeux d'ombre et de lumière qui créent ce que l'on appelle "le modelé" en français, c'est-à-dire les effets de volume.

Même incompréhension de Giuseppe Castiglione découvrant une peinture de "rochers et de bambous" sur l'étal d'un peintre de rue : la place du vide, largement dégagé à droite de l'oeuvre, lui semble démesurée. Le peintre lui explique donc l'importance du "vide réservé", qui permet à l'imagination du spectateur de se projeter dans cet espace infini ouvert au coeur de l'espace fini de la toile comme le montre magistralement François Cheng dans Le Vide et le plein.

Pour complaire à son client, le peintre ajoute un oiseau à son oeuvre, qui devient ainsi, à part entière, une peinture de "fleurs et d'oiseaux"
[huāniǎo huà] (même si ce genre ne comprend pas nécessairement d'oiseau).

Image

Mais l'oeil de l'oiseau est dépourvu de pupille et le peintre de rue est paniqué à l'idée que son oeuvre puisse être exposée au Palais par son client :

Image

L'Empereur y voit en effet la marque du dédain d'un peintre rebelle nostalgique de l'ancien régime. L'oeil vide de cet oiseau, dit-il, est celui d'un être apeuré, chose qui semble si évidente à tous les peintres de l'Académie impériale qu'ils rient de la naïveté et de l'étonnement du peintre italien. Tandis que l'Empereur en conlut qu'il lui faut fonder son pouvoir sur une politique de douceur et non plus de terreur (le sens idéologique de ce propos pour les spectateurs d'aujourd'hui n'échappera à personne, évidemment), Jin Kun, peintre de cour, explique à Giuseppe Castiglione que cette peinture ressemble aux oeuvres de Zhu Da, un peintre appartenant à la famille des Ming et auquel Wikipedia consacre un article sommaire. Il lui apprend aussi que la peinture de cour, réalisée sur commande de l'Empire, exclut toute originalité, toute créativité, celles-ci restant l'apanage du peuple (encore un brin d'idéologie), à l'inverse du génie personnel du peintre occidental qui, quoique soumis au même régime de commande, se doit de témoigner puissamment de son individualité.

On apprend ainsi beaucoup de choses sur les manières de voir des deux civilisations. L'Empereur remarque que les Chinois sont très au fait de la peinture de paysage, de la peinture de fleurs et d'oiseaux mais qu'ils sont incapables de rivaliser avec les Occidentaux pour la peinture de personnages. Il veut donc faire une synthèse des deux arts qui sera historiquement réalisée par la collaboration de Giuseppe Castiglione et de Jin Kun.

Conformément aux recommandations du peintre de rue auquel il a d'abord confié son apprentissage, le peintre italien commence par s'initier à la poésie, dont elle est indissociable.
laoshi
Avatar de l’utilisateur
laoshi
Administrateur
 
Messages: 3912
Inscrit le: 06 Juil 2011, 06:23

ressemblance abstraite et ressemblance réaliste

Messagepar laoshi » 29 Mars 2012, 18:19

Belle leçon de peinture chinoise dans l'épisode 7. Le vieil aveugle qui enseigne la peinture à Lang Shining peint à son tour le petit mendiant qui a valu au peintre les foudres de l'Empereur. Le résultat est magnifique et témoigne de la différence entre la "ressemblance abstraite" prisée des peintres chinois et la "ressemblance réaliste" prisée des Occidentaux. Lang Shining le reconnaît bien volontiers, son portrait était ressemblant certes, mais le petit mendiant semblait inerte sur la toile, alors que les traits sobres de son maître, simplement dessinés à l'encre sur le papier de riz, ont introduit la vie et le mouvement dans l'oeuvre. Ce feuilleton est décidément très beau malgré les lenteurs du scénario. La cécité du maître, disciple d'un peintre rebelle surnommé "l'Homme de la montagne", est éminemment symbolique de ce concept de "ressemblance abstraite". Il s'agit de dégager l'essence du modèle, d'en dessiner une épure et non de reproduire exactement son apparence.
Jin Kun, qui sera le professeur de Lang Shining, dit qu'il est lui aussi un disciple de "l'Homme de la montagne" ; je ne sais pas si ce maître rebelle a vraiment existé.
laoshi
Avatar de l’utilisateur
laoshi
Administrateur
 
Messages: 3912
Inscrit le: 06 Juil 2011, 06:23

perspective, proportions et anatomie

Messagepar laoshi » 02 Avr 2012, 08:25

Parmi les différences entre peinture chinoise et peinture européenne, le feuilleton analyse, là encore très pédagogiquement (le peintre a opportunément ouvert une école de peinture), le rôle de la perspective, de la théorie des proportions et de la connaissance anatomique.

Lang Shining note que les paysages chinois et les scènes de genre sont représentées comme vues de haut, "à vol d'oiseau", comme on dit en français, au lieu d'être vues en perspective, par rapport à la ligne d'horizon et en suivant les lignes de fuite des parallèles qui se rejoignent en un point focal unique.

Il montre aussi que les Chinois, ignorant les proportions anatomiques, ont tendance à représenter les personnages de leurs oeuvres avec une "grosse tête" et un petit "corps maigre" ; la dimension de la tête, explique-t-il, est contenue 7 fois dans celle du corps ; là encore, les images sont présentées à l'appui (je les mettrai en ligne si j'ai le temps de les rechercher).

Cette ignorance des proportions va de pair avec la pudeur chinoise : après bien des efforts, Lang Shining obtient de l'Empereur l'autorisation de peindre un nu qui ne soit "ni un homme ni une femme" ; ce sera donc un eunuque qui devra payer de sa personne (sexe caché, bien sûr). Impossible, dit le peintre, de bien camper un personnage habillé si l'on ne sait rien des muscles et de la charpente osseuse qui se cachent sous les vêtements. On comprend ainsi l'importance de la collaboration des artistes et des savants, parfaitement représentée dans le feuilleton par le duo de Lang Shining et de Luo Huaizhong, le médecin qui pratique les autopsies sous la protection de l'Empereur au grand scandale de ses officiers et autres subordonnés.
laoshi
Avatar de l’utilisateur
laoshi
Administrateur
 
Messages: 3912
Inscrit le: 06 Juil 2011, 06:23

Le code de la lumière

Messagepar laoshi » 03 Avr 2012, 09:44

Le code de la lumière, dans la peinture chinoise, n'a rien à voir avec son rôle dans la peinture occidentale. Au lieu de façonner le reflief, de se combiner aux ombres pour rendre le "modelé", elle se voit assigner un rôle purement symbolique qui défie les lois de l'optique comme en témoigne le portrait que Lang Shining fait du 14° Prince, l'un des nombreux fils de l'Empereur Kangxi, un moment pressenti pour succéder à son père avant que le 4° Prince ne lui soit préféré.

Le peintre, la mort dans l'âme, doit, pour complaire au prince, éclairer le visage de son modèle plus qu'il ne conviendrait. Il doit aussi ajouter plus de lumière encore sur le front du prince, de telle sorte sans doute que la puissance semble émaner de son visage avec la lumière.
laoshi
Avatar de l’utilisateur
laoshi
Administrateur
 
Messages: 3912
Inscrit le: 06 Juil 2011, 06:23

peinture et politique

Messagepar laoshi » 03 Avr 2012, 11:06

Est-ce un fait réel ? Si l'on en croit le feuilleton, le peintre Lang Shining aurait été utilisé, à son corps défendant, par différents clans se disputant la succession de l'Empereur Kangxi.

Il est d'abord utilisé par le 4° Prince pour se plaindre de la répression que son père exerce sur certains de ses nombreux fils considérés comme factieux. Le Prince offre au peintre une oeuvre représentant un vieil homme élaguant ses melons ; quand l'Empereur lui demande ce qu'il voit, Lang Shining répond naïvement que le vieil homme est content parce que son melon, correctement élagué, va pouvoir grossir et profiter de la sève. Il n'a pas compris l'allusion à l'impératrice Wu Zetian qui avait fait assassiner plusieurs de ses fils pour garder le pouvoir....

En peignant le 14° Prince selon les souhaits de celui-ci et de ses partisans, avec la lumière dont je parlais plus haut, Lang Shining a ensuite fortement indisposé le 4°, finalement héritier du trône. Le mandarin qui lui a commandé la peinture est exécuté, quant au père Luo Huaizhong, qui lui a suggéré d'accéder à cette requête, il est immédiatement expulsé de Chine.

Le nouvel Empereur l'utilise également pour discréditer l'un de ses frères, le 8° si je me souviens bien, et son oncle maternel qui avaient pris parti pour le 14°. Il envoie le peintre assister à l'anniversaire de son cadet afin qu'il fasse une description exacte de ce qu'il a vu au banquet. L'oeuvre devient, dans les mains de l'Empereur, la pièce essentielle d'un redoutable réquisitoire contre le clan adverse. Là encore, l'affaire se solde par une exécution capitale, Longkodo, l'oncle factieux, est exécuté.

L'Empereur décide aussi d'expurger les collections de peinture impériales de toutes les oeuvres mal pensantes. Parmi elles, figurent celles de "l'homme de la montagne", l'un des disciples de
[Bādà Shānrén] "huit grands montagnards", alias Zhu Da, qui avait pris ce pseudonyme religieux en 1684. L'Empereur lance une perquisition d'ampleur parmi les peintres de l'Académie impériale, et, en particulier chez Jin Kun, qui a pris la précaution de confier les oeuvres de son maître au jésuite.

Si l'on en croit le feuilleton, cet "homme de la montagne" peignait des poissons sans représenter l'eau de la mer. Or le mot
, "Qing", qui allie la clef de "l'eau" au composant "bleu" , a quelque chose à voir avec la mer alors que la dynsatie des Ming est associée au feu puisque le signe associe le soleil et la lune . Ne pas la peindre l'eau, ce serait donc refuser la dynastie des Qing, au nom des Ming dont Zhu Da était un descendant. L'une des images de Wikipedia montre qu'en effet Zhu Da peignait les poissons sans représenter l'eau :

Image

J'ai trouvé, toujours dans Wikipedia, une image qui montre un oiseau sans pupille, signe de dédain d'un Ming pour les Qing :

Image

Toujours selon le feuilleton, Lang Shining aurait sauvé les oeuvres de "l'homme de la montagne" de la destruction. Protégé par sa naïveté feinte, il échappe à la répression et, devant remettre les toiles à l'Empereur, il parvient à recopier les oeuvres et à faire passer ses copies pour les originaux.

Lang Shining se serait enfin vu confier la tâche de réaliser les portraits des ancêtres de la dynastie à partir des textes littéraires. Le peintre est très embarrassé car les descriptions dont il dispose sont très confuses et très succinctes. Comment représenter un caractère "majestueux", demande-t-il à son jeune apprenti. Très simplement en lui faisant "ribouler" des yeux, lui répond celui-ci...
laoshi
Avatar de l’utilisateur
laoshi
Administrateur
 
Messages: 3912
Inscrit le: 06 Juil 2011, 06:23

"la peinture auspicieuse"

Messagepar laoshi » 05 Avr 2012, 16:02

Dans l'un des derniers épisodes diffusés, on apprend, à l'occasion de l'avènement de l'empereur Yongzheng (27 décembre 1722), qu'il était de coutume, pour les peintres de cour, de créer des "peintures auspicieuses" pour célébrer le changement de règne.

Lang Shining cherche donc, en vain évidemment, des épis de riz doubles, des fleurs de lotus doubles etc., pour servir de modèles à l'oeuvre qu'on lui a conseillé de peindre et qui sera connue sous le nom de Juruitu, Nombreux signes de bon augure . Il ne comprend pas d'abord que cette dualité est symbolique, qu'elle présage d'un règne d'opulence, de paix, de pureté et de prospérité et non un compte-rendu graphique de la réalité.


Michèle Pirazzoli-T'Serstevens dans Giuseppe CASTIGLIONE 1688-1766 Peintre et architecte à la cour de Chine a écrit:
Le Juruitu est la plus ancienne peinture de Castiglione faite pour le palais et datée qui nous soit parvenue. Il s’agit d’un rouleau vertical à l’encre et couleurs sur soie (H. 173 cm ; l. 86,1 cm), conservé au musée national du Palais de Taipei (fig. 4).

Image

La peinture représente un arrangement floral dans un vase. L’arrangement comprend des lotus en boutons, en fleurs et
en graines doubles associés à des épis doubles de millet. Une inscription en haut à droite donne le titre de l’oeuvre et explicite les circonstances de sa création, sa signification et son symbolisme : « Nombreux signes de bon augure. En cette année de l’auguste avènement, toutes sortes de signes fastes sont apparus ; les céréales à doubles épis ont poussé dans les champs, les lotus à doubles fleurs se sont épanouis dans l’étang du palais. Votre serviteur Lang Shining a respectueusement observé et peint ces végétaux dans un vase pour commémorer l’heureuse réponse qu’ils expriment. Le 15e jour du 9e mois de la 1re année Yongzheng [13 octobre 1723], respectueusement peint par votre serviteur Lang Shining de l’ouest des mers. »

Le sujet de la peinture n’a pas été choisi par Castiglione et ne doit rien à la tradition occidentale. Il s’enracine au contraire au coeur de la pensée chinoise et participe de la notion de « résonance » par laquelle, selon la cosmologie corrélative, s’expliquent tous les phénomènes naturels. Le souverain reçoit son mandat du Ciel et ce dernier communique avec les hommes par l’intermédiaire de prodiges. À l’avènement d’un souverain légitime, et plus encore d’un homme sage, le Ciel « répond » par des signes auspicieux (apparition d’animaux fabuleux ou extraordinaires, de céréales ou de fruits miraculeux, de plantes ou d’objets divins). Puis, tout au long du règne, il confirme le mandat d’un gouvernement vertueux par des signes fastes et manifeste sa désapprobation par des signes de mauvais augure (calamités naturelles…).


Or de forts soupçons pesaient sur le nouvel empereur. Quatrième fils de Kangxi, il était suspecté d'usurpation voire de parricide ; son père ayant donné une armure d'or à son quatorzième fils, c'était celui-ci qui, selon beaucoup, devait succéder au trône. En peignant, à l'instigation de son ami médecin, le portrait équestre du 14° Prince, Lang Shining avait d'ailleurs semblé prendre le parti de celui-ci, ce qui lui vaut une fameuse bastonnade à l'avènement de Yongsheng. La proscription du christianisme par le nouvel empereur serait d'ailleurs une mesure de rétorsion à l'égard des jésuites, coupables, à l'image du naïf Lang Shining du feuilleton, d'avoir choisi le mauvais camp !

En peignant le Juruitu, Lang Shining aurait donc tenté, en quelque sorte, de se racheter. C'est ce que suggère le feuilleton puisque c'est sur la recommandation explicite d'un autre peintre (Jin Kun, si je me souviens bien), que l'artiste entreprend cette oeuvre.

Voilà ce que l'auteur écrit à ce sujet :


En l’occurrence, la peinture Juruitu avait donc une connotation politique extrêmement marquée. Elle exprimait que l’accession de Yongzheng au trône était légitime et que cette accession annonçait un règne vertueux.


A la symbolique de l'image s'ajoute une symbolique verbale là encore bien mise en évidence par le feuilleton et confirmée par l'article déjà cité :

À ce niveau principal de signification venaient s’ajouter des jeux de mots qui accentuaient le message auspicieux. Le lotus « he » peut être compris comme un rébus pour un autre caractère homophone qui signifie la concorde. De même, le vase « ping » est un rébus pour « ping » qui signifie paix. Les Chinois ont toujours aimé jouer avec ces rébus, dans l’art décoratif, mais aussi dans la peinture d’« objets tranquilles », qui correspond à la nature morte en Europe, et qui est en Chine le plus souvent une peinture de voeux, associée à une célébration (changement de saison, anniversaire…).Le thème du Juruitu, avec ses différentes connotations – politique, symbolique –, a donc été dicté à Castiglione.


Autre détail fidèlement rendu dans le feuilleton : Lang Shining explique qu'il ne maîtrise pas suffisamment l'écriture chinoise pour oser inscrire lui-même la dédicace sur son oeuvre :

De même, l’inscription n’est ni de son inspiration, ni de sa main. Elle fut écrite en son nom. Sa signature est précédée du terme « haixi », de l’ouest des mers, mention que l’on trouve sur d’autres oeuvres de cette époque, mais qui ne fut presque plus utilisée sur les peintures plus tardives de l’artiste.


Cela n'empêche pas Lang Shining de faire preuve d'une réelle originalité, en faisant la synthèse de la tradition orientale et de la tradition occidentale, avec une certaine irrévérence, peut-être, qui, cette fois, n'a pas été mise en évidence par le feuilleton :

Le fait de dépeindre comme unique motif de la peinture un arrangement floral dans un vase n’était pas totalement nouveau en Chine en ce début du XVIIIe siècle. On le rencontre déjà chez de grands maîtres du XVIIe siècle comme Chen Hongshou (1599- 1652). Malgré tout, c’est un parti peu courant avant la fin des Ming, du moins dans la peinture lettrée. [...]on peut penser que ce motif, lié à la symbolique de bon augure, n’était traité en peinture que par les artistes professionnels. Les lettrés, eux, dans leurs peintures de fleurs, préféraient montrer des branches fleuries ou des fleurs non coupées, évoquées dans leur cadre naturel.


En choisissant des fleurs coupées, le peintre a donc peut-être voulu nuancer son éloge. C'est en effet dans la peinture de "vanités", en occident qu'on rencontre ce motif. L'herbe sèche qui s'enroule autour des fleurs, la flétrissure commençante des feuilles, a peut-être été choisie consciemmment par le peintre pour rabattre un peu l'orgueil du nouvel empereur, lui montrer que son règne était entaché de quelque souillure et lui montrer qu'en tout état de cause, il était destiné à mourir...

Je vous renvoie pour une étude approfondie de l'oeuvre, à ce superbe article auquel j'aurai sans doute encore recours moi-même pour mieux comprendre le feuilleton.
laoshi
Avatar de l’utilisateur
laoshi
Administrateur
 
Messages: 3912
Inscrit le: 06 Juil 2011, 06:23

Zheng Banqiao, peintre de bambous et de rochers

Messagepar laoshi » 07 Avr 2012, 10:44

Parmi les peintres qui entourent Lang Shining figure, dans le feuilleton, Zheng Banqiao (1693–1765) [Zhèng Bǎnqiáo], dont j'ai appris ainsi l'existence.

Le feuilleton le présente comme un peintre contestataire dont les productions pourraient fortement indisposer l'ombrageux empereur Qianlong, qui a entrepris d'expurger les collections du Palais de toutes les oeuvres mal-pensantes (un détail qui ne peut manquer de faire sens aux yeux des spectateurs contemporains !).

Lang Shining ayant déjà goûté aux rigueurs de la bastonnade impériale, il est terrifié à l'idée que l'Empereur puisse découvrir la toile politiquement incorrecte qu'il vient d'accrocher dans son atelier. L'oeuvre, en effet, comporte un pin, dont l'Empereur vient d'interdire la représentation pour une raison que je n'ai pas comprise. Fort heureusement, Qianlong se rend compte qu'il devrait se passer lui-même de toutes les oeuvres d'art qu'il chérit pour respecter ses propres interdits ; il demande donc un peu de clémence aux censeurs qu'il a chargés de cette entreprise de "purification" idéologique de ses collections.

Zheng Banqiao, qui fait partie des Huit excentriques, est surtout un formidable peintre de bambous et de rochers.

Image

Ses oeuvres combinent dessin et calligraphie et sont explicitement critiques ; scandalisé des dépenses inouïes que représente la construction de l'ancien Palais d'été, il accompagne les bambous qu'il peint pour Lang Shining d'un poème subversif où il dit entendre les "plaintes du peuple" dans le froufrou des bambous balancés par le vent.
laoshi
Avatar de l’utilisateur
laoshi
Administrateur
 
Messages: 3912
Inscrit le: 06 Juil 2011, 06:23

question d'oreilles

Messagepar laoshi » 08 Avr 2012, 07:39

Décidément, les feuilletons sont pleins d'enseignements pour ceux qui, comme moi, n'ont qu'une connaissance très lacunaire de la culture chinoise. Je viens de me rendre compte, en regardant Le peintre de la cour Lang Shining que la scène inaugurale d'English, le formidable roman de Wang Gang dont je vous ai déjà parlé, est inspirée d'un fait réel.

Lang Shining, ayant fait un portrait de l'empereur Qianglong, le soumet à la critique de l'eunuque le plus proche de celui-ci. L'Empereur est vu de trois-quarts, si bien qu'on ne voit que son oreille droite. L'eunuque a beau le mettre en garde, le peintre, fort de ses connaissances en perspective, n'en démord pas : il ne peut dessiner qu'une oreille, faute de quoi le portrait deviendrait à ses yeux non seulement "faux" mais encore grotesque.

Lorsque l'Empereur, d'abord enchanté par la ressemblance, découvre le "problème" que lui signale son eunuque, il entre dans une colère noire : le représenter avec une seule oreille, c'est dire qu'il n'entend pas ceux qui lui parlent "de la même oreille", avec la même impartialité. Le peintre, irrévérencieux sans le vouloir, sera condamné à la bastonnade et devra refaire son tableau.

Image


un clic gauche sur l'image vous permettra d'obtenir un grand format

Il arrive une mésaventure similaire au père de Liu Aï dans English : le personnage de Wang Gang est giflé par un cadre du Parti pour avoir privé Mao d'une de ses oreilles sur le portrait officiel qui lui a été commandé le service de la Propagande.
laoshi
Avatar de l’utilisateur
laoshi
Administrateur
 
Messages: 3912
Inscrit le: 06 Juil 2011, 06:23

Re: un feuilleton sur le peintre Lang Shining

Messagepar mandarine » 08 Avr 2012, 09:40

ce pourrait être cocasse si ce n'était pas la triste réalité

Nous pourrions faire une représentation de quelques uns de nos dirigeants actuels partout dans le monde en leur " collant "un maximum d'oreilles sur la tête!
décidément, la liberté de quoi que ce soit en chine est toujours limitée par le pouvoir déjà à cette époque
je pense qu'ailleurs, et en france sous la royauté en particulier, la représentation des personnages importants était soumises aussi à des règles ou codes ,
et certains peintres dissidents ont dû glisser dans leurs oeuvres des allusions, un peu comme les caricatures que nous connaissons aujourd'hui
( je me demande même si les images d'Epinal n'ont pas eu cette utilité à un moment donné)
je ne connais pas assez l'histoire de la peinture et ne peux que le suggérer
les fables de La Fontaine , les oeuvres de Molière...ont servi de support pour véhiculer les critiques du pouvoir en place et certains ont été inquiétés pour cela ,
plus proches de nous , "les chansonniers ", les humoristes d'aujourd'hui qui sont , me semble-t-il de plus en plus nombreux , que l'on voit même sur les chaînes de grande écoute , vivent une époque un peu plus facile

Finalement , les artistes dans l'opposition se ressemblent tous , où qu'ils se trouvent mais n'encourent pas les mêmes risques ....
Les autorités de votre pays,qui elles aussi pensent forcément à leurs intérêts,ne manqueront pas de comprendre combien le type de célébrité que leur vaut la persécution de personnes telles que vous les dessert Vaclav Havel à Liu Xiaobo
Avatar de l’utilisateur
mandarine
 
Messages: 1848
Inscrit le: 08 Juil 2011, 21:44
Localisation: reims

Suivant

Retour vers les feuilletons chinois

Qui est en ligne ?

Utilisateur(s) parcourant ce forum : Aucun utilisateur inscrit et 1 invité

cron