La Chine de l'Ouverture en feuilleton

Les feuilletons chinois ne sont pas seulement une vitrine idéologique du régime ; ils sont aussi une source inépuisable de renseignements concernant l'histoire et la culture chinoises ; on y découvre des coutumes et des croyances anciennes ou contemporaines et de précieux documents pédagogiques sur l'art et la littérature

Quand le bonheur frappe à la porte

Messagepar laoshi » 25 Déc 2012, 19:12

Je n'ai suivi ce feuilleton qu'épisodiquement (c'est le cas de le dire !) ; mais j'ai grapillé, par-ci, par-là, des informations très intéressantes concernant les croyances, l'histoire ou la vie quotidienne des Chinois :

La pratique constante de l'autocritique, imposée à l'héroïne parce qu'elle a téléphoné chez elle sans autorisation, la nécessité d'obtenir une autorisation d'accoucher pour devenir mère, les conditions de transmission du nom de la mère, l'existence de noms maudits ou indésirables de signes présageant du sexe du bébé à naître, ou de mets honorifiquesparticulièrement recherchés...

Dans l'épisode 26, deux inspecteurs arrivent du Yunnan où l'héroïne a été envoyée comme "jeune instruite" lorsqu'elle était adolescente (elle a alors passé les 35 ans) ; les inspecteurs veulent savoir comment elle a pu regagner Pékin. Elle prétend qu'elle est revenue en application de la loi parce qu'elle était le seul soutien de ses parents âgés mais les inspecteurs ne s'en laissent pas conter. Nous sommes en 1986. Ils veulent savoir si le cadre du village dans lequel elle a passé ces années-là l'a violée ou si elle a monnayé son retour de ses charmes, auquel cas on pourrait lui imputer une "faute de conduite". Ce problème du viol des jeunes instruites semble récurrent dans les feuilletons, j'en ai déjà parlé à propos de Sifflet de pigeon. Il y aurait là, sans doute, un chantier de recherche inédit pour les historiens.
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la break dance dans la Chine de l'Ouverture

Messagepar laoshi » 27 Déc 2012, 10:51

Dans l'un des épisodes récents du feuilleton (25 ou 26), un petit garçon de huit ou neuf ans fait à sa famille une démonstration de "break dance" (c'est du moins ce qu'on lit dans les sous-titres) ; cette danse ressemble en tout cas au peu que je connais du style de Mikaël Jackson. L'histoire est censée se dérouler en 1986 et je m'étonne de la "modernité" américaine de ce petit danseur, même si l'on est dans la Chine de l'Ouverture...
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la danse Yangge

Messagepar laoshi » 29 Déc 2012, 18:26

On apprend, dans le dernier épisode du feuilleton, que cette danse s'appelle Yangge en chinois.
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La danse du yangge

Messagepar mandarine » 30 Déc 2012, 19:11

Petite définition de ladite dance...par
Culture et politique dans la Chine du XXème siècle
Florence GRAEZER-BIDEAU




Qui n'a jamais été surpris de découvrir une animation joyeuse, intense, sonore et dansée, dans les rues chinoises à la tombée de la nuit, menée par des résidents en quête de divertissements, d'activités physiques et de bien-être social ? Issu d'une recherche menée sur le long terme dans plusieurs localités de la province du Shaanxi et de la municipalité de Pékin, cet ouvrage plonge le lecteur au coeur des pratiques culturelles et sociales de nombreux Chinois. Il propose une réflexion originale sur la place de la culture en République populaire de Chine et sur ses diverses modalités d'expressions et d'interprétations depuis le Mouvement du 4 mai 1919 jusqu'à l'Exposition universelle de 2010 à Shanghai.
La politique culturelle est-elle un instrument essentiel de l'exercice du pouvoir en Chine ? Ce livre y répond en explorant les liens entre culture et politique à partir d'une étude anthropologique réflexive et critique de la danse du yangge, inspirée des travaux des Cultural Studies qui associent dans leurs démarches les approches sinologique, historique, politique et sociologique. Fondé sur des enquêtes de terrain approfondies au sein de différentes communautés yangge, il montre comment la danse du yangge fut un outil de propagande qui a servi de pierre angulaire à la construction de la politique culturelle au temps de Mao et comment elle sert aujourd'hui à la promotion de la civilisation spirituelle socialiste, par un Parti communiste chinois en quête de légitimité.


http://www.editionsladecouverte.fr/cata ... 72921.html
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Pour en savoir plus sur le Yang ge

Messagepar laoshi » 31 Déc 2012, 09:56

Merci de cette référence, Mandarine. Aviez-vous déjà entendu parler de cette danse ou bien avez-vous cherché sur Internet ?

Je me rends compte après avoir lu cette présentation du livre de Florence Graezer-Bideau et après avoir regardé quelques exemples sur youtube, que la danse du petit garçon, appelée "break dance" dans un autre épisode, n'a rien à voir avec le yangge que sa famille lui demande de danser à l'occasion de la Fête du printemps. Les deux danses sont distinctes, c'est moi qui avais mal compris. Ici, toute la famille se joint à l'enfant dans une sorte de farandole qui est bien celle que décrit Florence Graezer-Bideau dans son ouvrage et dans l'article que j'ai trouvé sur le site Persee : Le « yangge » en Chine contemporaine. Pratique populaire quotidienne et vie associative de quartier dans 'Perspectives chinoises - mai-juin 1999 - Volume 53, pp 31-43).

Je suis heureuse de voir, en tout cas, que la fréquentation régulière des feuilletons permet non seulement de se progresser au niveau linguistique mais encore de découvrir, pour peu qu'on soit curieux, beaucoup de choses qu'on ne peut appréhender en tant que simple touriste. Merci encore Mandarine !
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Re: Quand le bonheur frappe à la porte

Messagepar mandarine » 31 Déc 2012, 10:13

:ec16: C'est bien grâce à votre forum que je progresse dans la culture chinoise ,
car non , je n'ai pas souvenance d'avoir vu cette danse quelque part en Chine , mais j'étais surtout en milieu "urbains ou touristiques".
Dés que nécessaire , je consulte internet bien sûr , pour le thé aux perles ou autre et j'apprends ainsi ce qui m'intéresse" à mon rythme".
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le Yang ge et le folklore du communisme

Messagepar laoshi » 31 Déc 2012, 18:47

Je n'ai pas eu le temps de lire entièrement l'article de Florence Graezer-Bideau, j'ai eu trop à faire aujourd'hui mais je vous en conseille vivement la lecture, que je reprendrai moi-même plus tard... Ce que j'en ai retenu pour le moment, c'est que Mao a trouvé dans cette danse populaire un outil idéal pour idéologiser "les masses" dès l'époque de Yan'an. Pour ce faire, les idéologues du Parti ont considérablement édulcoré les scénarios qui sous-tendent cette danse inspirée des gestes de la paysannerie, ils l'ont expurgée de ses éléments osbcènes ou politiquement incorrects pour en faire le véhicule édifiant de la vulgate révolutionnaire. On pourrait dire qu'ils ont littéralement "communisé le folklore" et "folklorisé le communisme" en substituant les personnages convenus de la réforme agraire aux personnages traditionnels qui n'étaient pas nécessairement des parangons de vertu ou des fers de lance de "la lutte des classes" ! Comme les publicités de notre temps, qui nous vendent des yaourts industriels en instrumentalisant nos souvenirs de la Laitière de Vermeer, ils jouaient sur la mémoire et sur l'oubli : mémoire incorporée de la gestuelle dansée, oubli du sens traditionnel au profit du dogme nouveau...

Au temps de la Révolution Culturelle et de la liquidation des "quatre vieilleries", le Yang ge apparut cependant comme une survivance du "féodalisme" incompatible avec le réalisme socialiste ; il a donc été interdit. Revenu avec l'Ouverture, il est aujourd'hui plein d'ambiguités : c'est en effet sa forme "communisée" qui est restée dans les mémoires mais, en même temps, parce qu'il est pratiqué en dehors de tout encadrement par le Parti, il est pour ceux qui le dansent un moyen d'échapper à sa tutelle organisationnelle et politique, d'où une certaine méfiance des autorités... (un autre feuilleton, nullissime mais complémentaire de celui-ci, montrait justement les formes encadrées de la danse de salon.)

Le folklore a très souvent été détourné au profit des régimes autoritaires : pensons à Napoléon III qui a suscité des études folkloriques bien réelles mais qui a surtout tenté de forger une image idéalisée des paysans pour en faire le repoussoir d'une classe ouvrière dangereusement républicaine... pensons, bien sûr, au spectacle affligeant de la musique et de la danse soviétiques, stérilisées par le stalinisme (Choeurs de l'Armée rouge, ballets ukrainiens et chasse à toute "déviation anti-démocratique" s'écartant du modèle folklorique etc.), pensons à la caricature de la Corée du Nord dont on a vu récemment les danses folkloriques accompagner le triomphe de Kim Jong-eun après le lancement réussi de sa fusée et la mise en orbite d'un satellite...

Personnellement, j'aime beaucoup le folklore, quand il ne tient pas lieu de cache-misère et ne sert pas de faux-nez au pouvoir...
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La Chine de l'Ouverture en feuilleton

Messagepar laoshi » 15 Mars 2013, 08:52

Ce feuilleton en 33 épisodes (les Chinois semblent rarement faire court) est plein d'enseignements, je vous le recommande vivement.

L'intrigue est simple : Song Yusheng, photographe reconnu, est veuf ; il a deux enfants, une fille de 17 ans et un garçon de 12 ans, qui vivent en pension chez leur grand-mère maternelle tandis qu'il se consacre à son métier ("couvrir" les manifestations officielles) et à son art (faire de la photographie). La "vieille dame", une communiste de la vieille école, voudrait lui trouver une nouvelle épouse selon des critères bien à elle, d'où sont absents tout grain de fantaisie et tout sentiment réel... Mais voilà que Yusheng rencontre par hasard Jiang Lu, maquilleuse dans une troupe de spectacle, qui habite juste au-dessus de chez la "vieille dame", dans un appartement que lui a prêté une amie en voyage à l'étranger. Entre les deux personnages, c'est le coup de foudre alors que Jiang Fei, la soeur aînée de Jiang Lu, vient justement d'organiser la rencontre de sa soeur avec un Chinois d'origine américaine. Un lourd secret pèse en effet sur le passé de Jiang Lu, jeune instruite revenue du Yunnan après des années d'exil à quelque 4000 km de Pékin : a-t-elle été violée par un cadre communiste ou a-t-elle vendu ses charmes pour avoir le droit de rentrer dans la capitale ? la chose n'est pas claire mais en tout cas, jamais, selon sa grande soeur, un Chinois de Chine populaire ne saurait "passer" sur cette tache... On est au temps de "l'Ouverture", en 1985-86, mais quand même, on ne se libère pas comme cela du poids du puritanisme maoïste conjugué aux traditions les plus archaïques... Evidemment, la "vieille dame" et les enfants du premier lit ne sont pas faciles à amadouer et le passé finira par rattraper Jiang Lu...
Les personnages sont attachants et les acteurs de ce bon mélodrame jouent de manière très juste, y compris les enfants dont la révolte et le chagrin sont très crédibles, seules les jérémiades de "la vieille dame" sont insupportables...
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Le Panoptique chinois au temps de "l'Ouverture"

Messagepar laoshi » 15 Mars 2013, 09:34

Plus que dans l'intrigue (à laquelle néanmoins on se laisse prendre), l'intérêt du feuilleton est dans ce qu'il nous apprend de la Chine au temps de l'Ouverture.

La mainmise du Parti sur la vie individuelle et collective, sur la vie privée et sur la vie professionnelle, est montrée sans ambages même si le feuilleton oppose le vieux secrétaire honnête, qui va prendre sa retraite, au cadre corrompu qui, à force d'intrigues, va le remplacer (il va sans dire qu'il est "passé par la porte de derrière").

On apprend ainsi, par exemple, que les troupes de spectacle sont sous la tutuelle politique d'un secrétaire du Parti et que l'attribution d'un logement, comme l'avancement et la promotion à un quelconque "titre académique" dépend du bon vouloir de celui-ci et, par voie de conséquence, de la docilité des bénéficiaires.

Un coup de téléphone donné sans autorisation, une absence injustifiée et c'est l'humiliation d'une autocritique publique devant toute la troupe et d'un rappport joint au "dossier administratif" qui suit l'individu durant toute son existence. Quand Jiang Lu démissionne de son unité de travail, perdant du même coup son statut de fonctionnaire pour intégrer la "société civile", elle n'échappe pas pour autant au regard inquisiteur du pouvoir : son dossier est immédiatement transféré au "comité de quartier" dont la "directrice", la "Tante Wu", vient le soir même l'enjoindre de passer à son bureau dès le lendemain.

L'omniprésence de la Tante Wu, qui surveille les moeurs de tout l'immeuble, perçoit les redevances d'eau et d'électricité de chaque locataire, s'enquiert des potins auprès des commères, enquête sur la vie privée de tout un chacun et admoneste les adolescents rebelles, montre de manière assez réaliste que la Chine reste alors un immense "panoptique", un système de visibilité intégrale où, comme l'écrivait George Orwell, "Big Brother is watching you".

On apprend aussi que cet abandon de la carrière de fonctionnaire va de pair avec l'abandon de tout droit à la retraite (à 55 ans précise le feuilleton) et de toute prise en charge par les organismes de santé et autres services sociaux. Celui qui veut se débrouiller seul devient même, à l'époque, un véritable "paria" et la honte de son nouveau statut rejaillit sur sa famille (chose qui a sans doute bien changé aujourd'hui évidemment). Bien sûr, il s'agit aussi de "vendre" la "politique d'Ouverture" mise en oeuvre par Deng Xiaoping et donc de discréditer, en partie, les emplois d'Etat. Jiang Lu nous apprend ainsi qu'elle travaille pour une somme mensuelle dérisoire (56,20 yuans exactement) et qu'elle ne gagne qu'un yuan de prime pour des heures supplémentaires interminables. Quant à la course aux "titres académiques" dont dépendent les augmentations, elle donne lieu, dit Jiang Lu, à des "batailles de chiens enragés" pour des gains dérisoires. En comparaison, le prix des perruques qu'elle confectionne pour arrondir ses fins de mois est fort intéressant puisqu'il monte de 5 à 10 yuans au cours du feuilleton (en deux ans). Le prix d'un T-shirt de sport, 30 yuans (plus de la moitié du salaire mensuel de Jiang Lu), témoigne de la faiblesse du salaire des employés de la fonction publique. Le photographe, dont le salaire n'est jamais mentionné, n'est pas mieux loti : l'achat de ses pellicules et d'un objectif grand-angle suffit à l'empêcher de payer la pension de ses enfants à "la vieille dame".

Pas plus que la vie professionnelle, la vie privée n'échappe à la tutelle du Parti : le mariage doit être "approuvé" par les responsables de l'unité de travail de chacun des deux conjoints, qui s'imposent d'ailleurs à la cérémonie "privée" suivant (ici, des mois plus tard) l'obtention du certificat officiel (une simple formalité). Pas d'enfant sans une "autorisation de naissance" délivrée, là encore, par les unités de travail de chacun des conjoints. Et si, comme Jiang Lu, on a obtenu son autorisation de retour à Pékin dans des conditions suspectes, l'enquête est menée de manière littéralement inhumaine, au mépris de la plus élémentaire psychologie. Au mieux, il s'agit d'un viol et le coupable sera sévèrement puni, au pire, la victime a été consentante et c'est elle, alors, qui sera considérée comme ayant eu une conduite immorale, ce qui ira de pair avec une sanction : Jiang Lu est ainsi censée avoir terni "l'honorabilité" de la troupe à laquelle elle appartient.

Le travail d'enquête et d'enregistrement bureaucratique de la vie des uns et des autres n'a pas de cesse : la "vieille dame" raconte comment, parce que ses parents avaient le sens de l'économie et le souci des apparences, ils ont été soupçonnés d'appartenir à la classe des "paysans riches", ce qui, évidemment, aurait entraîné pour eux de funestes conséquences. Cela ne l'empêche pas d'enquêter à son tour sur Jiang Lu tant dans son unité de travail qu'auprès de la directrice du comité de quartier. Car tout un chacun espionne les autres dans la société communiste et l'idéologie dominante pèse de tout son poids sur les comportements : comme le choeur des commères plantées au bas des immeubles qui commentent les faits et gestes des passants, les enfants qui soumettent Jiang Lu à un charivari sont les agents inconscients du pouvoir et le grand-père qui tient le téléphone public du quartier entend toutes les conversations qu'il répète à qui bon lui semble (et, on s'en doute, aux indics du régime). L'habitude de la stigmatisation des victimes, héritée du maoïsme, est si profondément ancrée dans l'esprit des agents de la fonction publique qu'un professeur n'hésite pas à reprendre à son compte le sobriquet humiliant dont les élèves de sa classe ont affublé le petit Run Run : Zhu Bajie (le cochon du Pèlerinage en Occident) ! Le feuilleton oppose même avec une certaine audace le respect des Droits de l'homme tel qu'il est censé exister en Occident à ce mépris de la personne humaine : en Europe ou en Amérique, affirme Jaing Lu, les parents auraient porté plainte et ce professeur aurait été immédiatement sanctionné !...
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Re: espaces et scènes de la vie quotidienne

Messagepar laoshi » 15 Mars 2013, 13:58

Autre intérêt du feuilleton, les espaces présents dans le film, même si leur image se réduit à peu de choses.

Trois quartiers d'habitation nous sont montrés : un immeuble populaire mais relativement confortable, le dortoir minable du photographe et le siheyuan (la courée traditionnelle) de Jiang Pei, la grande soeur de Jiang Lu, qui vit au coeur du vieux Pékin, au fond d'un hutong (ruelle).

L'immeuble de la "vieille dame" est assez vaste, un séjour, un bureau, deux chambres, une cuisine, une salle de bains. On ne sait pas à quoi la "vieille dame" le doit : le statut de sa fille défunte, professeur d'université, celui de son mari, lui aussi décédé ? Tous les appartements de l'immeuble sont faits sur le même modèle : toutes les portes sont en partie vitrées (y compris celle de la salle-de-bain) comme si la volonté "panoptique" du pouvoir se reflétait jusque dans l'architecture intérieure des logements.

Peu de choses apparaissent du siheyuan de Jiang Pei sinon la promiscuité de la courée traditionnelle où le moindre esclandre fait sortir les voisins de leur appartement. Cette pression de l'entourage sur l'individu se manifeste évidemment au sein même de la famille où chacun se sent autorisé à se mêler de ce qui ne le regarde pas. Impossible d'aimer ou d'haïr sans obtenir l'aval de la belle-mère, de la grande-soeur, du beau-frère ou de l'oncle... je deviendrais folle !

Le dortoir de Yusheng est un dortoir-caserne. Chaque habitant dispose d'une pièce unique. Toutes les chambres donnent sur une coursive à laquelle on accède par un escalier de fer. Là encore, tout le monde, qu'il le veuille ou non, surveille tous les autres en passant devant les fenêtres largement ouvertes sur l'espace commun. Aucun départ, aucun retour ne peut passer inaperçu, les paniers de courses sont soupesés, évalués... Le couple voudrait bien obtenir un logement mais les cadres du Parti ont barre sur l'attribution des appartements et Jiang Lu n'est pas en odeur de sainteté dans son unité de travail. La cuisine est collective, à l'image de celles que vous avez peut-être connues en résidence universitaire ; la toilette se fait dans la cour, devant un évier de pierre collectif où ne coule, semble-t-il, que de l'eau froide. Bien sûr, la cuvette est là, sur un trépied, dans la chambre, pour une toilette plus intime.

Un détail amusant : les feuilletons chinois, et celui-là plus que les autres, insistent lourdement sur l'hygiène : "va te laver le visage et les mains avant de passer à table", "va te laver les dents", "fais ta toilette avant d'aller au lit" Cette hygiène est cependant bien curieuse à nos yeux : on se lave les pieds chaque soir (ou l'on se fait laver les pieds, le petit-fils par la grand-mère, le mari par son épouse !) mais simplement à l'eau tiède, sans savon ! La toilette des hommes est souvent succincte : Yusheng se passe une serviette humide sur le torse et sous les aisselles et voilà tout (on ne voit pas la toilette des femmes, on voit seulement Jiang Lu se laver les dents devant l'évier collectif et se brosser les cheveux).

En dehors, de ces espaces "privés", on découvre les hôpitaux, les écoles (avec leur uniforme) et les lycées, les terrains de sport et les Magasins de l'Amitié. Vous avez sans doute tous fréquenté ces magasins si vous avez eu la chance de faire un voyage en Chine, les guides y amènent systématiquement les touristes dont ils ont la charge : l'intrigue se noue ici autour d'un joli vélo rouge à dérailleur convoité par la fille du photographe, trop pauvre, malgré sa notoriété, pour le lui offrir. On apprend que les Chinois devaient disposer d'une autorisation pour acheter quoi que ce soit dans ces magasins normalement réservés aux étrangers. Apparemment, le marché noir était néanmoins florissant puisque la jeune fille, Song Zheng, parvient à convertir ses éconnomies, celles de son frère et l'emprunt qu'elle a contracté auprès de ses amies en un "bon d'achat d'importation". Unique dans le magasin où elle l'a remarqué, le vélo n'existe, apprend-on dans la suite du film, qu'à quatre exemplaires dans tout Pékin... C'est dire que la société de "l'Ouverture" demeurait massivement une société de la pénurie.

Les scènes de la vie quotidienne associées à ces espaces, souvent commentées (cuisine, repas, hygiène, sommeil), sont pleines d'intérêt. Chaque matin, les habitants de l'immeuble de la "vieille dame" vont chercher leur petit déjeuner (lait de soja, beignets torsadés et petits pains à la vapeur) à la cantine publique du quartier. Pour leurs menues courses, la petite épicerie-téléphone public, en bas de l'immeuble, sembable à celle que nous a montrée Mandarine dans Shanghai insolite, suffit. Pour les courses plus conséquentes, en particulier pour les légumes frais, Jiang Lu semble devoir faire un trajet assez long. On apprend aussi qu'il y a différentes cantines au sein des hôpitaux : Jiang Lu, pleine de prévenance pour la belle-mère de Song Yusheng, qui vient de faire un AVC, se fait passer pour la nièce d'un haut fonctionnaire lui aussi hospitalisé pour obtenir une soupe de tortue ou une soupe d'holothuries régénérante. Ce sont en effet les proches du malade qui doivent prendre en charge son entretien pendant l'hospitalisation et qui se relaient auprès de lui pour lui donner à manger, le laver etc...

Les manières de table, la façon très particulière de laver la vaisselle (un petit coup de lavette dans les bols passés sour le robinet), les jeux d'enfants (entre autres le volant au pied et la joute sur un pied), la gestuelle de l'affection, les mimiques de la colère ou du mépris, les règles de la politesse, la manière de décliner son identité, tout cela transparaît largement au fil des épisodes. Les manières de dire sont elles aussi très présentes : Song Zheng explique à son petit frère et à sa grand-mère les nouveaux usages linguistiques et ceux qui apprennent le chinois entendront ses explications avec intérêt.
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