Tohubohu nous a fait découvrir un beau poème chinois de Louis Bouilhet, Le Tung-whang-fung.
J'ai eu envie d'en savoir plus sur les rapports de l'ami de Flaubert avec la Chine et j'ai trouvé (avec le moteur Qwant), un texte fort intéressant d'un auteur du début du XX° siècle, Henri David. Il n'est pas tendre, d'abord, pour les poncifs de la plupart des pièces chinoises du poète qui, dit-il, s'inspire plus des "magasins de curiosités" alors en vogue que d'une authentique connaissance de la Chine. Je le trouve bien sévère avec Louis Bouilhet puisque ses premières pièces chinoises furent publiées en 1859 alors que le magasin Bing, par exemple, ne tenait pas encore la haut du pavé ! Le deuxième recueil, Dernières chansons, date de 1872, cinq ans après que l'exposition universelle de 1867 avait mis l'Extrême Orient à la mode. Encore était-ce, à mon avis, témoigner d'une rare ouverture à la culture chinoise, très mal connue à l'époque. Henri David avait évidemment, quant à lui, tous les moyens de dépasser les lieux communs qu'il reproche à Louis Bouilhet, qui ne s'est pas contenté d'une approche "exotique" et de quelques traits de "couleur locale"...
Une lettre de Flaubert, citée par Henri David, nous apprend, d'abord, que Bouilhet s'est mis à "l'apprentissage du chinois qu'il étudia pendant dix ans de suite, uniquement pour se pénétrer du génie de la race, voulant faire un grand poème sur le Céleste Empire". Henri David reconnaît que les pièces chinoises "traduites" par Bouilhet sont d'une grande qualité, même s'il se sert abondamment des traductions françaises faites avant lui par de savants sinologues comme Rémusat ou Hervey-Saint-Denys, auteur d'un ouvrage intitulé Poésies de l'époque Tang.
La traduction, faite par celui-ci, de La Chanson des rames, que l'empereur Wudi, 武帝 [wǔ dì], de la dynastie des Han (141 à 87 av. J.C.) composa alors qu'il traversait le fleuve Hoën, privilégie le sens mais elle me semble déjà un petit chef-d'oeuvre de rythmique batelière :
Le vent d'automne s'élève, ha ! de blancs nuages volent ;
L'herbe jaunit et les feuilles tombent, ha ! les oies sauvages vers le midi s'en retournent.
Déjà fleurit la plante Lân, ha ! déjà se répand le parfum des chrysanthèmes.
Moi, je pense à la belle jeune fille, ha ! que je ne saurais oublier.
Mon bateau flotte doucement, ha ! traversant le fleuve de Hoën ;
Au milieu des rapides eaux, ha ! qui jaillisent en vagues écumantes,
Au bruit des flots et des tambours, ha ! j'improvise la Chanson des rames.
Plus vif a été le plaisir, ha ! plus profonde est la tristesse qui lui succède.
La force et la jeunesse, combien durent-elles, ha ! et contre la vieillesse que faire !
On retrouve là, outre le chant des bateliers, toute la thématique de l'automne dont je vous ai présenté les grandes liques dans ma rubrique sur la poésie de la dynastie Tang.
Voici, maintenant, le poème de Bouilhet ; il s'inspire, quant à lui, du rythme du poème chinois, qu'il respecte au plus près, plus que de son sens ; car il faut choisir : les mots chinois étant, à l'époque Tang, monosyllabiques (ils sont maintenant le plus souvent dissylabiques, sauf sur le Web, où l'on retourne au monosyllabisme), il faut parfois une phrase entière pour rendre un seul mot. Louis Bouilhet a voulu respecter, voire imiter, la forme chinoise : ses vers, comme ceux de l'original, sont des "heptasyllabes divisés en hémistiches de trois syllabes par l'exclamation" ; son poème est divisé en trois strophes respectviement de quatre, trois et deux vers ; quant à l'ordre des rimes (mais il y en a trois en chinois et deux seulement en français), il est pratiquement le même (sauf pour les deux derniers vers où l'on a aa en chinois et ab en français)
Bois chenus ! ah ! vent d'automne !
L'oiseau fuit ! ah ! l'herbe est jaune !
Le soleil, ah ! s'est pâli !
j'ai le coeur, ah ! bien rempli !
Sous ma nef, ah ! l'eau moutonne,
Et répond, ah ! monotone !
A mon chant, ah ! si joli !
Quels regrets, ah ! l'amour donne !
L'âge arrive, ah ! puis l'oubli !
Il faudrait trouver l'original pour comparer vraiment avec le texte chinois. Je vais essayer de le faire...