Les poésies chinoises de Louis Bouilhet

proposez ici les poèmes chinois que vous aimez, si possible avec le texte original, le pinyin et la traduction

Quelle traduction de la Chanson des rames préférez-vous ?

celle d'Hervey-Saint-Denys
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celle de Louis Bouilhet
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Nombre total de votes : 3

Les poésies chinoises de Louis Bouilhet

Messagepar laoshi » 16 Fév 2013, 08:45

Tohubohu nous a fait découvrir un beau poème chinois de Louis Bouilhet, Le Tung-whang-fung.

J'ai eu envie d'en savoir plus sur les rapports de l'ami de Flaubert avec la Chine et j'ai trouvé (avec le moteur Qwant), un texte fort intéressant d'un auteur du début du XX° siècle, Henri David. Il n'est pas tendre, d'abord, pour les poncifs de la plupart des pièces chinoises du poète qui, dit-il, s'inspire plus des "magasins de curiosités" alors en vogue que d'une authentique connaissance de la Chine. Je le trouve bien sévère avec Louis Bouilhet puisque ses premières pièces chinoises furent publiées en 1859 alors que le magasin Bing, par exemple, ne tenait pas encore la haut du pavé ! Le deuxième recueil, Dernières chansons, date de 1872, cinq ans après que l'exposition universelle de 1867 avait mis l'Extrême Orient à la mode. Encore était-ce, à mon avis, témoigner d'une rare ouverture à la culture chinoise, très mal connue à l'époque. Henri David avait évidemment, quant à lui, tous les moyens de dépasser les lieux communs qu'il reproche à Louis Bouilhet, qui ne s'est pas contenté d'une approche "exotique" et de quelques traits de "couleur locale"...

Une lettre de Flaubert, citée par Henri David, nous apprend, d'abord, que Bouilhet s'est mis à "l'apprentissage du chinois qu'il étudia pendant dix ans de suite, uniquement pour se pénétrer du génie de la race, voulant faire un grand poème sur le Céleste Empire". Henri David reconnaît que les pièces chinoises "traduites" par Bouilhet sont d'une grande qualité, même s'il se sert abondamment des traductions françaises faites avant lui par de savants sinologues comme Rémusat ou Hervey-Saint-Denys, auteur d'un ouvrage intitulé Poésies de l'époque Tang.

La traduction, faite par celui-ci, de La Chanson des rames, que l'empereur Wudi,
[wǔ dì], de la dynastie des Han (141 à 87 av. J.C.) composa alors qu'il traversait le fleuve Hoën, privilégie le sens mais elle me semble déjà un petit chef-d'oeuvre de rythmique batelière :

Le vent d'automne s'élève, ha ! de blancs nuages volent ;
L'herbe jaunit et les feuilles tombent, ha ! les oies sauvages vers le midi s'en retournent.
Déjà fleurit la plante Lân, ha ! déjà se répand le parfum des chrysanthèmes.
Moi, je pense à la belle jeune fille, ha ! que je ne saurais oublier.

Mon bateau flotte doucement, ha ! traversant le fleuve de Hoën ;
Au milieu des rapides eaux, ha ! qui jaillisent en vagues écumantes,
Au bruit des flots et des tambours, ha ! j'improvise
la Chanson des rames.
Plus vif a été le plaisir, ha ! plus profonde est la tristesse qui lui succède.
La force et la jeunesse, combien durent-elles, ha ! et contre la vieillesse que faire !


On retrouve là, outre le chant des bateliers, toute la thématique de l'automne dont je vous ai présenté les grandes liques dans ma rubrique sur la poésie de la dynastie Tang.

Voici, maintenant, le poème de Bouilhet ; il s'inspire, quant à lui, du rythme du poème chinois, qu'il respecte au plus près, plus que de son sens ; car il faut choisir : les mots chinois étant, à l'époque Tang, monosyllabiques (ils sont maintenant le plus souvent dissylabiques, sauf sur le Web, où l'on retourne au monosyllabisme), il faut parfois une phrase entière pour rendre un seul mot. Louis Bouilhet a voulu respecter, voire imiter, la forme chinoise : ses vers, comme ceux de l'original, sont des "heptasyllabes divisés en hémistiches de trois syllabes par l'exclamation" ; son poème est divisé en trois strophes respectviement de quatre, trois et deux vers ; quant à l'ordre des rimes (mais il y en a trois en chinois et deux seulement en français), il est pratiquement le même (sauf pour les deux derniers vers où l'on a aa en chinois et ab en français)

Bois chenus ! ah ! vent d'automne !
L'oiseau fuit ! ah ! l'herbe est jaune !
Le soleil, ah ! s'est pâli !
j'ai le coeur, ah ! bien rempli !

Sous ma nef, ah ! l'eau moutonne,
Et répond, ah ! monotone !
A mon chant, ah ! si joli !

Quels regrets, ah ! l'amour donne !
L'âge arrive, ah ! puis l'oubli !


Il faudrait trouver l'original pour comparer vraiment avec le texte chinois. Je vais essayer de le faire...
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Louis Bouilhet et la métrique chinoise

Messagepar laoshi » 16 Fév 2013, 11:46

La suite de l'article d'Henri David donne à réfléchir sur la métrique chinoise. Un "lettré du XVII° siècle", Han Yuling, s'exprime ainsi (il faut, bien entendu, comprendre "syllabe", là où Henri David traduit "mot", puisque les mots chinois de l'époque sont monosyllabiques) :

Han Yuling, cité par Henri David a écrit:
les vers de quatre mots sont les plus simples, mais ils sont trop serrés ; ceux de sept mots sont trop lâches et trop délayés ; la confusion y est facile et le pléonasme à redouter. Les vers de cinq mots sont les meilleurs, aussi depuis les Han jusqu'à nos jours ont-ils toujours été préférés.


Autrement dit, commente Henri David, l'heptasyllabe est une forme longue en chinois. Elle correspondrait donc à notre alexandrin ; encore une fois, il faudrait donc "trahir" pour mieux "traduire" comme je l'ai observé dans mes propres tentatives avec quelques poèmes de la dynastie Tang (mais j'ai traduit en vers libres, sans tenir aucun compte de la métrique)...

Louis Bouilhet l'a compris et a choisi en conséquence l'alexandrin pour traduire un poème intitulé La pluie du mont Ki-chan :

Le vent avait chassé la pluie aux larges gouttes,
Le soleil s'étalait, radieux, dans les airs,
Et les bois secouant la fraîcheur de leurs voûtes
Semblaient par les vallons, plus touffus et plus verts.

Je montai jusqu'au temple accroché sur l'abîme ;
Un bonze m'accueillit, un bonze aux yeux baissés.
Là, dans les profondeurs de la raison sublime,
J'ai rompu le lien de mes désirs passés.

Nos deux voix se taisaient, à tout rendre inhabiles ;
J'écoutais les oiseaux fuir dans l'immensité,
Je regardais les fleurs comme nous immobiles,
Et mon coeur comprenait la grande vérité !

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Re: Les poésies chinoises de Louis Bouilhet

Messagepar mandarine » 16 Fév 2013, 12:18

Surprenant comme il est possible de traduire des poésies chinoises en alexandrins ,rythme que j'affectionne personnellement.
Je pense que votre traduction en vers libres nous convient amplement ; nous n'allons pas exiger de vous d'en faire,de plus, des alexandrins ; peu nous chaut...
La tâche est suffisamment compliquée comme cela et nous n'exigerons pas de vous de devenir la " Henri David "du siècle,sauf si cela entre dans prétentions :lol:
Les autorités de votre pays,qui elles aussi pensent forcément à leurs intérêts,ne manqueront pas de comprendre combien le type de célébrité que leur vaut la persécution de personnes telles que vous les dessert Vaclav Havel à Liu Xiaobo
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Re: Les poésies chinoises de Louis Bouilhet

Messagepar mandarine » 16 Fév 2013, 15:57

Je préfère celle de Louis Bouilhet qui conserve le "rythme " du poème chinois,tant pis pour la traduction .
Les autorités de votre pays,qui elles aussi pensent forcément à leurs intérêts,ne manqueront pas de comprendre combien le type de célébrité que leur vaut la persécution de personnes telles que vous les dessert Vaclav Havel à Liu Xiaobo
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Re: Les poésies chinoises de Louis Bouilhet

Messagepar laoshi » 16 Fév 2013, 16:31

Avez-vous vu le sondage, en haut de la page ?
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La paix des neiges

Messagepar laoshi » 16 Fév 2013, 18:21

La Paix des neiges, que commente ensuite Henri David, convient parfaitement au paysage que je vois de ma fenêtre. Chez nous, ce sont les merles et les grives qui viennent grapiller, sur le balcon, les graines et les croûtes de pain que nous leur réservons. Fort heureusement, le vent ne souffle pas...

Au fond du cabinet de soie,
dans le pavillon de l'étang,
pi-po, pi-po ! Le feu flamboie.
L'horloge dit : ko-tang, ko-tang !
Au dehors, la neige est fleurie,
et le long des sentiers étroits,
le vent, qui souffle avec furie,
disperse au loin ses bouquets froids.
Sous le givre qui les pénètre,
les noirs corbeaux, en manteau blanc,
frappent du bec à ma fenêtre,
qu'empourpre le foyer brûlant.
Le soleil est pâle et sans force.
Du vieux poirier qui semble mort
aucun bourgeon ne fend l'écorce,
pointu comme une dent qui mord.
Seul le sorbier rouge, qu'assiége
plus d'un loriot en passant,
fait pleuvoir ses grains sur la neige ;
on dirait des gouttes de sang.
Mais, au dos de ma tasse pleine,
je vois s'épanouir encor
dans leur jardin de porcelaine,
des marguerites au coeur d'or.
Parmi les fraîches impostures
des vermillons et des orpins,
sur le ciel verni des tentures
voltigent des papillons peints.
Et mille souvenirs fidèles
sortant du fond de leur passé,
comme de blanches hirondelles,
rasent tout bas mon seuil glacé.
La paix descend sur toute chose.
Sans amour, sans haine et sans dieu,
mon esprit calme se repose
dans l'équilibre du milieu.
Loin de moi ces ardeurs jalouses
des envieux dont le fiel bout !
J'ai dans ma maison deux épouses,
l'une assise, l'autre debout.
Et, très fort en littérature,
j'ai gagné, s'il faut parler net,
quatre rubis à ma ceinture,
un bouton d'or à mon bonnet.
Cependant la nuit, qui s'allonge
mystérieuse à l'horizon,
dans le filet fleuri d'un songe
prend mon âme comme un poisson.
Et pour voir ce pays des sages
où les grands vieillards sont cachés,
je suis, sur le courant des âges,
la feuille rose des pêchers.
Mon oeil se clôt, mon coeur se noie
aux hasards du rêve inconstant.
Pi-po, pi-po ! Le feu flamboie.
L'horloge dit : ko-tang, ko-tang !

Dernières chansons


Louis Bouilhet semble s'être inspiré ici de l'anthologie d'Hervey-Saint-Denys sur la poésie de la dynastie Tang, des oeuvres citées dans Deux Cousines (traduit par Remusat) mais surtout de La Chanson de la neige blanche, mentionnée dans Deux jeunes filles lettrées, un roman chinois célèbre traduit en 1845 par S. Julien à l'intention des Français désireux d'étudier la langue et la civilisation chinoises.

Suivant le modèle des poètes de la dynastieTang, qui emploient volontiers des onomatopées pour introduire dans leurs vers les bruits environnants, Louis Bouilhet invente le chant du feu et le murmure de l'horloge, il leur emprunte leur bestiaire (les corbeaux, les loriots et les hirondelles) et n'hésite pas à introduire des détails de civilisation connus des seuls sinologues : le "bouton d'or" ornant le bonnet de ce lettré et les "quatre rubis" pendant à sa ceinture évoquent les marques de distinction qu'arboraient les princes et les mandarins en fonction de leur rang, en particulier les plaques de jade, reliées entre elles par de petites chaînes et enchassées de pierres précieuses, qu'ils portaient à la ceinture ; on les appelait hoan bei. Il reprend également, au pied de la lettre, une expression idiomatique chinoise, "chercher la source des péchers", qui signifie "chercher l'introuvable". Rien de cela ne trouve grâce aux yeux du commentateur qui n'y voit qu'un exotisme de pacotille mais je trouve, quant à moi, que l'évocation de la poésie chinoise de paysage est assez belle...
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Re: Les poésies chinoises de Louis Bouilhet

Messagepar mandarine » 16 Fév 2013, 19:22

Laoshi a écrit:
Avez-vous vu le sondage, en haut de la page ?

Oui oui,mais je ne peux exprimer mon choix à partir du tableau ,aussi je vous l'ai écrit:
Je préfère celle de Louis Bouilhet qui conserve le "rythme " du poème chinois,tant pis pour la traduction .
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Re: Les poésies chinoises de Louis Bouilhet

Messagepar mandarine » 16 Fév 2013, 19:24

Je viens de vérifier , ça fonctionne , je me suis donc exprimée (ai voté) .
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Re: Les poésies chinoises de Louis Bouilhet

Messagepar mandarine » 16 Fév 2013, 19:37

la poésie chinoise de paysage est assez belle...
: C'est nouveau pour moi et j'aime.

l'image du paysage intérieur suscité par le paysage extérieur
: j'ai bien de la peine de "traduire" cela avec d'autres mots:humeur,état d'esprit,état d'âme...mais c'est tellement moins poétique.
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Re: Les poésies chinoises de Louis Bouilhet

Messagepar mandarine » 16 Fév 2013, 19:42

Et, très fort en littérature,
j'ai gagné, s'il faut parler net,
quatre rubis à ma ceinture,
un bouton d'or à mon bonnet.


Je vous accorde vos deux premiers rubis et le bonnet,très sincèrement . ;)
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