La Chine de l'Ouverture en feuilleton

Les feuilletons chinois ne sont pas seulement une vitrine idéologique du régime ; ils sont aussi une source inépuisable de renseignements concernant l'histoire et la culture chinoises ; on y découvre des coutumes et des croyances anciennes ou contemporaines et de précieux documents pédagogiques sur l'art et la littérature

"L'autre moitié du Ciel"

Messagepar laoshi » 15 Mars 2013, 18:16

Mao disait des femmes qu'elles étaient "l'autre moitié du Ciel"... mais les rapports entre les sexes, tels qu'ils apparaissent dans le feuilleton, restent empreints d'une aliénation très peu égalitaire : comme le disait Marx, "le prolétaire du prolétaire, c'est la femme du prolétaire !"

Jiang Lu a beau être une femme moderne, émancipée, défrayant la chronique par les libertés qu'elle prend avec les conventions, elle reste la domestique de son mari et de toute la famille. Même si le feuilleton invite le spectateur, par son excès même, à prendre ses distances avec ce modèle, la fonction "pédagogique" du scénario est indéniable : certes, "un homme doit savoir faire la cuisine", comme le dit Song Yusheng, sans doute le beau frère de Jiang Lu est-il aux petits soins pour son épouse mais une femme exemplaire se doit de tout faire (avec le sourire !) et de se dévouer corps et âme à sa famille.

Quant à sa "vertu", elle doit être celle d'une sainte ! pour le mari de Jiang Pei, la grande soeur de l'héroïne, que sa femme ait pu, dans sa jeunesse, tenir la main d'un garçon pendant une séance de cinéma reste un regret insurmontable : "une porcelaine ébréchée", voilà ce dont il doit se contenter ! Il va sans dire que Song Yusheng surveille au plus près la morale sexuelle de sa fille... Bref, au pays du communisme, "l'autre moitié du Ciel" vit encore en enfer !

Là encore, le Parti est partie prenante dans le contrôle des moeurs, y compris celles des adultes : arrêtés par la police pour un phare défectueux alors qu'ils roulent à moto, Yusheng (une petite cinquantaine) et Jiang Lu (la quarantaine) sont sommés de démontrer qu'ils sont bien mari et femme (ce qu'ils ne sont pas encore) ; il faudra toute l'habileté de Jiang Lu pour les tirer d'affaire ; plus tard, contrôlés dans un parc alors qu'ils s'embrassent, ils exhibent triomphalement les certificats de mariage (chacun des époux en a un) qu'ils viennent de retirer au bureau des affaires familiales...
laoshi
Avatar de l’utilisateur
laoshi
Administrateur
 
Messages: 3912
Inscrit le: 06 Juil 2011, 06:23

de l'opéra de Pékin à la "break dance"

Messagepar laoshi » 15 Mars 2013, 18:53

Comme beaucoup de feuilletons chinois, Quand le bonheur frappe à la porte regorge de références culturelles dont on rêverait de trouver l'équivalent dans les téléfilms que diffuse notre télévision.

Dans Sifflet de pigeon, c'était Le Rêve dans le pavillon rouge qui était sollicité et expliqué, ici, c'est l'opéra de Pékin, Adieu ma concubine, qui permet à l'auteur de mettre en abyme la rupture de Jiang Lu et de Song Yusheng. J'essaierai de retrouver le passage en vidéo.

Je crois qu'il y a là quelque chose de très significatif. On sait, en particulier par le beau film de Cheng Kaige, combien l'opéra de Pékin a souffert de la folie destructrice de la Révolution Culturelle. La Chine d'aujourd'hui veut à l'évidence liquider ce passé de vandalisme et restaurer la légitimité de cet art élitiste dont rares sont ceux qui possèdent les codes. Run Run, le petit garçon de 12 ans, a bien du mal à comprendre ce qui se passe sur la scène aussi son père le lui explique-t-il très pédagogiquement (et, par la même occasion, il nous permet de le comprendre).

Mais, dans la Chine de "l'Ouverture", la culture se veut elle aussi "ouverte" et Run Run excelle aussi bien dans la "break dance" de Mickael Jackson que dans la danse folklorique du Yang ge dont nous avons parlé dans un autre sujet.

Il y a encore bien d'autres références dans ce feuilleton adapté d'un roman ; je ne suis malheureusement pas suffisamment au fait de la culture chinoise pour les avoir retenues mais je vous engage vraiment à regarder cette série très instructive pour tous ceux qui, comme nous, ont la passion de la Chine.
laoshi
Avatar de l’utilisateur
laoshi
Administrateur
 
Messages: 3912
Inscrit le: 06 Juil 2011, 06:23

Re: Quand le bonheur frappe à la porte

Messagepar mandarine » 15 Mars 2013, 19:47

Pouvez-vous me préciser l'heure de diffusion s'il vous plait , car je n'ai pas le programme complet de cette chaine ou je ne sais comment y accéder... Merci
Les autorités de votre pays,qui elles aussi pensent forcément à leurs intérêts,ne manqueront pas de comprendre combien le type de célébrité que leur vaut la persécution de personnes telles que vous les dessert Vaclav Havel à Liu Xiaobo
Avatar de l’utilisateur
mandarine
 
Messages: 1848
Inscrit le: 08 Juil 2011, 21:44
Localisation: reims

à voir sur le net

Messagepar laoshi » 16 Mars 2013, 09:03

Le feuilleton vient de se terminer, Mandarine, mais vous pourrez le voir en ligne quand CCTV aura résolu le problème technique qui affecte en ce moment la diffusion vidéo (j'ai déjà prévenu la chaîne deux fois !).

Je vous redonne les horaires des feuilletons sur CCTV-F ; deux feuilletons différents sont diffusés tous les jours en alternance, à raison de deux épisodes consécutifs pour chacun :

le feuilleton du matin : 11h20 - 12h 50
le feuilleton de l'après-midi : 17h 20 - 18h 50
laoshi
Avatar de l’utilisateur
laoshi
Administrateur
 
Messages: 3912
Inscrit le: 06 Juil 2011, 06:23

Re: La Chine de l'Ouverture en feuilleton

Messagepar mandarine » 16 Mars 2013, 09:43

Ils sont assez longs, mais bon , si je n'ai rien de plus important à faire ...
Les autorités de votre pays,qui elles aussi pensent forcément à leurs intérêts,ne manqueront pas de comprendre combien le type de célébrité que leur vaut la persécution de personnes telles que vous les dessert Vaclav Havel à Liu Xiaobo
Avatar de l’utilisateur
mandarine
 
Messages: 1848
Inscrit le: 08 Juil 2011, 21:44
Localisation: reims

Mei Lanfang dans "Adieu ma concubine"

Messagepar laoshi » 25 Mars 2013, 10:32

Comme les vidéos ne s'affichaient pas sur CCTV depuis plusieurs semaines, j'ai cherché le feuilleton en chinois, voici l'extrait et la traduction que j'en ai faite (si vous disposez du programme powerpoint, je peux vous en envoyer une version que j'ai sous-titrée mais qui ne peut s'afficher dans zhongguowenhua. Je donnerai le texte chinois et sa traduction pas à pas prochainement sur le site de mon atelier d'initiation) :



- "Va regarder la télévision
- Mamie regarde un opéra de Pékin
- je voudrais changer de chaîne mais elle m'en empêche
- Quel opéra ?
- Il s'appelle "bàwáng bié…"
- bàwáng bié jī ("le roi dit adieu à sa concubine" ou "Adieu ma concubine")
- Oui, c'est ça
- Papa, qu'est-ce que cela veut dire ?
- Ce que raconte cet opéra, c'est l'histoire de la guerre entre les Chu et les Han : on raconte qu'en ce temps-là il y avait la guerre entre les Chu et les Han ; le roi des Chu de l'ouest, Xiang Yu, était encerclé par Liu Bang à la tête d'une quinzaine d'armées puissantes près de Gai Xia (Gai Xia est un nom de lieu). Ce n'est que bien plus tard qu'on a rapporté cette partie de l'histoire dans une œuvre intitulée "Embuscades dressées de tous côtés". Xiang Yu comprit immédiatement qu'il n'avait plus aucune issue. Sa concubine bien aimée, Yu Ji… tu sais ce que c'est qu'une concubine, non ?
- Non…
- Sa concubine était la femme qu'il aimait… Yu Ji, ne voulant pas être un poids pour le roi des Chu, Xiang Yu, dansa pour lui une dernière danse et lui chanta un dernier chant puis, s'emparant de l'épée de Xiang Yu, elle se trancha la gorge.
- Elle s'est suicidée ?!
- Oui...
- Et après ?
- Après, Xiang Yu prit la tête de sa puissante armée, forte de quelque dix-mille hommes, pour briser l'encerclement et c'est à ce moment-là qu'un large fleuve barra sa route, lui coupant toute issue vers l'avant. Cet immense fleuve s'appelle le "Wu Jiang". Xiang Yu comprit qu'il n'y avait plus d'espoir alors, son cheval adoré, Wu Zhui, lui qui l'avait toujours suivi, il le confia au responsable du relais qui faisait franchir le fleuve, il leva les yeux au ciel en soupirant et puis … crac….
- Il s'est suicidé lui aussi ?
- Oui...
- Ils étaient tous les deux encerclés par les autres, ils ne pouvaient pas briser l'encerclement alors ils restaient là à soupirer et en se morfondre en chantant ?...
- C'est une représentation artistique hyperbolique…
- Une hyperbole de quoi ?
- En gros, ils avaient compris qu'il ne leur restait pas beaucoup de temps alors ils se disaient adieu l'un à l'autre… Bon, va regarder la pièce, elle est très belle, la tante Jiang Lu et moi nous avons à parler un peu…."


Je crois qu'on ne trouverait l'équivalent d'une telle leçon d'histoire, de littérature et d'opéra dans aucun programme de fiction français. J'apprécie tout particulièrement cette fonction pédagogique des feuilletons chinois même si elle s'inscrit, évidemment, dans un projet idéologique.
Les propos de la grand-mère, appelant son petit fils Run Run devant la télévision, sont exactement les mêmes que ceux de l'instituteur de Seules dans les montagnes du Yunnan faisant ânonner aux petits pouilleux déshérités de son village un texte vantant Mei Lanfang, un artiste "mondialement connu" pour ses rôles de jeunes filles. Ici, dit-elle, c'est le fils du célèbre acteur qui joue le rôle de Xiang Yu….
Je crois qu'il s'agit de faire pièce, d'une certaine manière, à la révélation qu'a été pour beaucoup Adieu ma concubine, le film de Chen Kaige. Il s'agit de montrer au monde que la Chine de l'Ouverture a effacé le saccage du patrimoine artistique perpétré par la "Bande des Quatre" et en particulier par Mme Mao qui s'est acharnée contre l'opéra pour promouvoir huit opéras "révolutionnaires" d'une affligeante pauvreté. Il s'agit aussi de faire connaître à tous le rayonnement culturel de la nouvelle Chine, de la "Chine de la renaissance" qui entend bien renouer avec la puissance de la dynastie des Tang…

Je précise que le même Chen Kaige a réalisé, en 2008, un film consacré à Mei Lanfang, film malheureusement inédit en France. On peut en voir la bande annonce ainsi que des extraits des opéras joués par Mei Lanfang sur zz-infos.com

Pour en savoir plus sur l'histoire de Xiang Yu, vous pouvez consulter sur le forum, La mort de Xiang Yu et de sa concubine Yuji...
laoshi
Avatar de l’utilisateur
laoshi
Administrateur
 
Messages: 3912
Inscrit le: 06 Juil 2011, 06:23

Re: La Chine de l'Ouverture en feuilleton

Messagepar mandarine » 26 Mars 2013, 13:31

Quel travail cela doit vous donner que de traduire tous ces sous-titres ! Merci .
Je ne sais si j'ai un programme Powerpoint .
La vidéo démarre dès que je suis sur cette page.
Les autorités de votre pays,qui elles aussi pensent forcément à leurs intérêts,ne manqueront pas de comprendre combien le type de célébrité que leur vaut la persécution de personnes telles que vous les dessert Vaclav Havel à Liu Xiaobo
Avatar de l’utilisateur
mandarine
 
Messages: 1848
Inscrit le: 08 Juil 2011, 21:44
Localisation: reims

la mort de Xiang Yu

Messagepar laoshi » 26 Mars 2013, 18:03

Oui, cela représente pas mal de travail : il faut d'abord identifier les caractères, ce qui n'est pas toujours facile, puis traduire... mais cela me permet aussi d'acquérir du vocabulaire et de m'entraîner à la lecture... C'est aussi une occasion pour moi de découvrir des pans entiers de l'histoire ou de la culture chinoise que je ne connais pas : c'est le cas pour l'histoire de la mort de Xiang Yu...

Pour le démarrage automatique de la vidéo, il faut que je corrige, c'est embêtant...
laoshi
Avatar de l’utilisateur
laoshi
Administrateur
 
Messages: 3912
Inscrit le: 06 Juil 2011, 06:23

le feuilleton en ligne

Messagepar laoshi » 16 Fév 2017, 17:55

On peut voir le feuilleton sous-titré en ligne : en chinois et en français

Rien de tel que de les regarder en parallèle pour progresser !
laoshi
Avatar de l’utilisateur
laoshi
Administrateur
 
Messages: 3912
Inscrit le: 06 Juil 2011, 06:23

Précédent

Retour vers les feuilletons chinois

Qui est en ligne ?

Utilisateur(s) parcourant ce forum : Aucun utilisateur inscrit and 0 invités

cron