Qiu Xiaolong : "Cité de la poussière rouge"

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Qiu Xiaolong : "Cité de la poussière rouge"

Messagepar laoshi » 30 Mars 2013, 15:19

C'est un livre que j'ai lu à Noël et que je voulais vous signaler pour vos achats de dernière minute mais... le temps m'a manqué et le souvenir s'est effacé même si j'avais pris, à l'époque quelques notes.

"La Cité de la poussière rouge", qui donne son titre au roman de Qiiu Xiaolong, est un quartier du vieux Shanghai où les habitants, étouffant entre les murs de leur "shikumen" exigü, sortent dans la cour qui un tabouret, qui un banc ou une chaise (à moins qu'ils ne s'asseoient sur leurs talons) pour manger leur bol de riz ou pour bavarder avec leurs voisins.

Chaque chapitre brosse, à travers leurs conversations, une chronique de la vie ordinaire qui se déploie en marge de l'histoire officielle telle que la raconte, année par année, le bulletin d'information du dernier numéro du journal local, relayant la vérité officielle du Parti jusque dans les ruelles pouilleuses et les venelles oubliées de la ville cosmopolite. On suit ainsi la vie de la cité, à l'ombre de celle de la Chine, de 1949 jusqu'à l'année 2005, à travers les vies minuscules des figures du petit peuple de Shanghai, joueurs d'échecs, garçon de bain, chauffeur de taxi, etc. tous les petits métiers défilent sous nos yeux en contrepoint des événements de la "grande histoire", lancement des spoutniks du Grand Bond en avant, visite officielle de Nixon (pendant laquelle les habitants, indésirables, sont tous consignés dans leur shikumen), retour au lopin de terre privé dans la lointaine province de l'Anhui, lancement de la campagne du chat blanc et du chat noir par Deng Xiaoping etc...
L'histoire qui m'a le plus marquée, parmi ces "poussières" de vie, est celle d'un petit fabriquant de tofu, devenu, par la grâce de l'idéologie maoïste, poète du peuple. Un petit chef-d'oeuvre que j'ai voulu vous faire partager :


Qiu Xiaolong, dans La Cité de la poussière rouge a écrit:
La Campagne nationale du Drapeau rouge pour la chanson populaire est lancée par le président Mao dans le but de mettre en avant les écrivains et artistes ouvriers et paysans [...]
Un matin, au début du printemps, le rédacteur en chef de Littérature de Shanghai s'est présenté à l'aciérie. Bao faisait une courte pause, il essuyait son front en sueur, penché sur un bol de riz au tofu frit. Quand le rédacteur aux cheveux blancs a expliqué le but de sa visite à l'ouvrier de la sidérurgie, Bao a ri et secoué frénétiquement la tête. "Vous voulez rire, je suis ouvrier. je ne suis allé que trois ans à l'école élémentaire. Si vous voulez que je vous fabrique du tofu, rien de plus facile. Et vous en aurez un aussi blanc que le jade en un clin d'oeil. Mais comment je pourrais écrire pour votre revue ?
- Précisément, je cherche un écrivain ouvrier,
a insisté le rédacteur.
- Qu'est-ce que je peux vous dire ? Regardez ce morceau de tofu. Il a un goût de colle de riz. La faute à quoi ? A la fève de soja. Croyez-moi, telle sorte de fève de soja produit telle sorte de tofu. Et aussi à l'eau, qui donne au tofu sa couleur terne. Le marchand ambulant est une crapule. Je ne lui achèterai plus jamais rien. Bref, ce qui raconte un ouvrier sans instruction n'intéressera jamais un intellectuel comme vous. Rien à faire.
Attendez. C'est extraordinaire, camarade Bao. C'est remarquable. La fève de soja et le tofu. Et aussi l'eau. Ca, c'est de la dialectique. Excellent. Merci infiniment.
- Quoi ?"
Bao était complètement ahuri.
[...]
Quelques jours plus tard, l'homme a appelé. Il y avait un court poème en première page du quotidien Libération.

    Telle fève de soja produit tel tofu
    Telle eau donne telle couleur
    Tel savoir-faire fabrique tel produit
    Telle classe parle telle langue


Qiu Xiaolong, spécialiste de T.S. Eliot, était aux Etats Unis lorsque le mouvement de Tian'Anmen a commencé. Ses textes en faveur de la démocratie l'ont alors privé du droit de rentrer dans son pays et même d'écrire pour le public chinois. Il s'est donc tourné vers la langue anglaise, qu'il maîtrise parfaitement. Il a publié Cité de la poussière rouge,traduit en français par Franchita Gonzalez Battl, en 2008 chez Liana Levi. Le roman vient tout juste d'être réédité en poche. Voilà la page de la présentation par la FNAC (que cela ne vous empêche pas, comme moi, de préférer les "vrais" libraires : à Paris, dans le 14°, je vous recommande Le Livre écarlate) (on peut commander)...
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Re: Qiu Xiaolong : "Cité de la poussière rouge"

Messagepar mandarine » 30 Mars 2013, 16:16

Merci beaucoup pour cette info :un livre sur les lilong de Shanghai , et je serai toujours preneuse!
Cela me fait penser à la photo que j'ai postée dans "Scènes de la vie quotidienne",quartier du port à Shanghai , où la marchande au soja immaculé me gratifie d'un si beau sourire(prise en 2005 je crois) .

Image

Chanceuse ! Paris est une mine de bonnes adresses , telle " le Livre Ecarlate ".La librairie doit être très agréable si je m'en tiens aux commentaires des habitués .
Mais pour moi qui ne suis qu'épisodiquement parisienne , le plus simple sera de commander à la Fnac de Reims...pour le lire très bientôt à la plage ,la la la lalère...
Les autorités de votre pays,qui elles aussi pensent forcément à leurs intérêts,ne manqueront pas de comprendre combien le type de célébrité que leur vaut la persécution de personnes telles que vous les dessert Vaclav Havel à Liu Xiaobo
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"Shim Chong,fille vendue"

Messagepar mandarine » 20 Mai 2013, 07:42

:livres: Je viens de terminer "Cité de la poussière rouge".
C'est une présentation très originale de l'auteur qui aborde la vie quotidienne d'un vieux quartier et la politique en transparence.
Je crains que ce quartier que je crois avoir reconnu ne soit démoli lui aussi et ses habitants à la périphérie de la ville , à 4 h de leur ancien logement où ils vivaient heureux.

Un autre livre que je viens de lire en 2 jours (!): au travers de la vie d'une prostituée enlevée et vendue à 15 ans,il aborde de la même façon les joies et les peines du quotidien à travers l'histoire du pays ou plutôt des pays car elle a été contrainte de "travailler" dans les pays limitrophes suite à des rapts successifs .
Un gros livre , parfait pour les vacances.

"Shim Chong,fille vendue",
de Hwang Sok-Yong Edition France loisirs( Editions Zulma) achevé d'imprimé en 2011.

Je me suis rendue sur internet pour mieux connaitre l'auteur et voici la une partie de la critique du livre(Laoshi,vous allez être intéressée si vous ne connaissez pas cet auteur)

A la manière d'un Zola oriental

"Hwang Sok-yong est aujourd'hui, sans conteste, le meilleur ambassadeur de la littérature asiatique", a écrit le Nobel Kenzaburô Oé pour saluer l'auteur de Shim Chong, fille vendue, qui vient d'être traduit chez Zulma. On y découvre que le Coréen est aussi à l'aise sur un autre registre : le roman historique, qu'il revisite à la manière d'un Zola oriental. Shim Chong, son héroïne, est une figure mythique de l'imaginaire taoïste dont les aventures se sont transmises de génération en génération. Cette légende, Hwang Sok-yong la reprend à son compte - et la dépouille de ses parures surnaturelles - pour décrire l'esclavage sexuel et le monde sordide de la prostitution dans l'Asie de la fin du XIXe siècle, un continent déchiré par des guerres intestines et peu à peu livré aux convoitises de l'Occident.

Voici donc l'histoire de Shim Chong, une gamine de quinze ans qui sera arrachée à son village de pêcheurs avant de grimper sur une jonque et d'être vendue à un vieillard de Nankin par des trafiquants de chair fraîche. Puis elle atterrira dans une maison de plaisir près de Shanghai, tombera amoureuse d'un joueur de pipa - le luth chinois -, sera kidnappée par des bandits, se retrouvera dans un lupanar de Formose, deviendra la concubine d'un ponte de la Compagnie des Indes Orientales et finira par servir de pâture à un autre prédateur - un prince japonais qui ne tardera pas à se faire assassiner, dans un pays en pleine tourmente.

De la misère la plus noire à la vie de courtisane, Shim Chong traverse un Orient de boue et de larmes avec, pour seuls bagages, cette fierté et cette insolence qu'elle ne cessera de brandir face à la concupiscence des hommes. "Je ne sais même pas qui je suis. Je n'ai que mon corps. Je suis seule dans ce monde immense", dira-t-elle avant de revenir mourir sur sa terre natale. Son odyssée est celle d'une âme meurtrie, mais merveilleusement insoumise, et Hwang Sok-yong a fait de cette Nana coréenne un symbole : celui de la liberté dans un pays enchaîné aux pires servitudes.


http://www.lexpress.fr/culture/livre/sh ... 45821.html
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Re: Qiu Xiaolong : "Cité de la poussière rouge"

Messagepar laoshi » 20 Mai 2013, 08:20

Je suis contente que Cité de la Poussière rouge vous ait plu, Mandarine.

Je ne connaissais pas l'auteur coréen dont vous parlez ensuite. Je viens de lire plusieurs critiques de ce roman qui semble en effet reposer sur une riche dcoumentation historique. Pour la comparaison avec Nana, il faudra que je juge sur pièce...
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