le public venu assister à la rencontre de la Mairie du 4° !
Je vous ai déjà parlé du Contre-Congrès du Parti communiste chinois qui s'est tenu à la Mairie du 4° arrondissement de Paris le 18 octobre et j'ai déjà rendu compte du bel hommage que Marie Holzman avait rendu à Liu Xiaobo et à Liu Xia en introduction de cette manifestation. Voici maintenant le quasi verbatim de la deuxième partie de la rencontre, que vous pouvez voir et entendre sur facebook. Si j'ai parfois supprimé ou corrigé les tournures de l'oral, je n'ai rien changé au contenu. La première partie du dialogue porte sur les enjeux du Congrès.
Ce que nous apprendrons du Congrès, François Bougon ?
François Bougon : est-ce que Xi Jinping va prolonger à son poste le responsable de la lutte anti-corruption, qui dépasse pourtant la limite d’âge, est-ce que les gens de la 6° génération vont intégrer au cœur de la machine d’Etat, est-ce qu’il va inscrire son nom dans son apport théorique, est-ce qu’on va parler de « pensée Xi Jinping », de « concepts Xi Jinping », ça, c’est vraiment de la pékinologie, cela vous nous permettre de savoir quel est l’état réel de son pouvoir aujourd’hui en Chine
Michel Eltchaninoff : Marie, pour vous quels sont les grands enjeux de ce Congrès ?
C’est ce qu’a dit F. Bougon, ce qui est important c’est qu’on ne sait pas très bien. On parle d’élection, mais il n’y a pas d’élection, il continue à être là ; certains avaient l’air de douter, est-ce qu’il sera réélu, non, ça va comme sur des roulettes, il est là, il y reste, et on a l’impression que de plus en plus il concentre tous les pouvoirs. Et cette extraordinaire concentration des pouvoirs, ça donne deux perspectives : ou alors il y a continuation et il serre la vis de plus en plus fort, mais on ne peut pas s’empêcher de penser que plus il va serrer la vis, plus il va prendre le pouvoir vers lui - et déjà, on se demande comment il pourrait faire encore plus mais on a l’impression qu’il veut faire encore plus, il nous dit à nous, Occidentaux, vos valeurs occidentales, vos fameuses valeurs universelles, on n’en veut pas, et, sous-entendu, on va tout faire pour les bousiller, on est dans une position très agressive vis-à-vis des autres. Il dit tout le temps, « on va se comporter de manière très amicale avec vous, on va s’entendre, on va faire des choses ensemble », mais, en même temps, il nous dit, « vous êtes nuls. Nous, on sait ce qu’on fait et vous, vous faites n’importe quoi, donc on ne va surtout pas se laisser intoxiquer par vous ». Là, c’est très agressif mais je me dis, au même moment, il va se faire tellement d’ennemis, qu’il va y avoir un genre d’implosion au sein du pouvoir mais ça, c’est juste une hypothèse, j’ai du mal à comprendre comment une masse inerte aussi dense, peut ne pas exploser à un moment ou un autre. Mais, cela ne veut pas dire qu’elle va exploser. C’est juste, que moi, j’ai du mal à le concevoir. En revanche, en ce qui concerne la périphérie directe de la Chine, on sait que la répression à Hong Kong va être de plus en plus forte, déjà les condamnations se multiplient, le pouvoir chinois fait comme s’il était chez lui à Hong Kong et on se demande ce qui va arriver ensuite avec Taïwan.
M. E : On dit souvent que les 5 premières années de Xi Jinping ont été marquées par une lutte anti-corruption qui est aussi une arme politique qui lui a permis d’éliminer des rivaux, de faire un peu le ménage dans les clans qui pouvaient auparavant se partager le pouvoir, où en est cette campagne anti-corruption en 2017, va-t-elle se poursuivre, est-elle juste une tactique d’élimination des rivaux et menace-t-elle le pouvoir central lui-même ? A force de nettoyer et de condamner les corrompus, est-ce que ça risque de se retourner contre le pouvoir central lui-même ?
F. B. Grande question ! Moi je pense que les dirigeants chinois ont toujours utilisé la lutte anti-corruption pour se débarrasser de leurs rivaux, ça, c’est une situation courante, mais ce qu’on voit avec Xi Jinping, c’est qu’il utilise quand même cette lutte anti-corruption comme un élément de gouvernance du Parti, donc, ce n’est pas simplement une campagne pour se débarrasser des rivaux ; c’est une tentative pour mettre un peu d’ordre dans un parti qui est rongé par la corruption : il en a encore parlé aujourd’hui dans son discours, c’est le plus grand danger qui menace le Parti. Cette image d’un Parti communiste qui gagne la Chine contre un Guomindang qui était complètement corrompu, ça, c’est assez fort en Chine, après, est-ce que ça va continuer, oui, je pense, puisque c’est un élément de sa gouvernance. Pour contrôler le Parti, il utilise notamment ça. Après, est-ce que ça menace le pouvoir central, c’est la grande question. Je n’ai pas regardé en détail mais il y a certaines études qui montrent que cette campagne anti-corruption, elle touche en majorité des cadres intermédiaires, la plupart des dirigeants chinois sont quand même assez préservés de la lutte anti-corruption. Après, il faudrait définir ce que c’est que la corruption : est-ce que le fait de profiter de la croissance chinoise pour « aider » sa famille, est-ce que c’est de la corruption, je ne suis pas assez qualifié pour le savoir...
M. H. : je voudrais ajouter quelque chose là-dessus. Teng Biao [滕彪] a écrit un texte je crois hier, sur cette fameuse campagne contre la corruption. Teng Biao est un avocat défenseur des droits civiques, c’était pratiquement un des plus célèbres, il vit en exil aux Etats-Unis ; donc, à partir des Etats-Unis, il écrit librement, il ne peut pas se faire arrêter (tout du moins, il n’est pas encore kidnappé). Ce qu’il dit, c’est que cela ne sert à rien de d’arrêter des gens, parce qu’on a quand même arrêté 1 300 000 corrompus ! ça semble des chiffres…, même s’ils sont nombreux, ça fait quand même beaucoup, beaucoup d’arrestations ! Il dit [que cela ne sert à rien] tant qu’on ne change pas le système juridique, parce que le système juridique est fait pour protéger les membres du Parti. Alors, c’est vrai qu’une fois de temps en temps, des membres du Parti tombent à la trappe mais il n’y a pas de système réellement structuré pour désigner ce qu’est un corrompu, ce qui est permis ce qui est interdit. Plusieurs politologues chinois ont expliqué que lutter contre la corruption, c’est la raison d’être du pouvoir, donc on a l’impression que c’est comme chez nous : on veut faire régner l’harmonie entre les Français, c’est la raison d’être du pouvoir. Mais détruire la corruption, c’est détruire le Parti. Et en même temps, ce qui est assez fascinant, c’est que Deng Xiaoping, quand il est arrivé au pouvoir en 1980, la première chose qu’il a dite, je m’en souviens très bien, c’est « si nous ne corrigeons pas cette tendance néfaste », c’est-à-dire la corruption, notre Parti sera foutu, donc Xi Jinping est dans une continuité parfaite ; la lutte contre la corruption fait plaisir aux tout-petits, parce que les tout-petits détestent les fonctionnaires, évidemment, qui les exploitent, qui les maltraitent, chaque fois qu’il y en a un qui est mis au trou ou fusillé, ils sont tous très contents, donc ça permet de maintenir une bonne ambiance, si j’ose dire, mais c’est pas du tout fait pour les dirigeants, c’est ça le problème.
à suivre