L'épouse du Prix Nobel chinois Liu Xiaobo apparaît en public pour la première fois depuis 2010.
Liu Xia, la femme du prix Nobel de la paix Liu Xiaobo avec l'avocat des droits de l'homme Mo Shaoping arrivent au tribunal de Pékin, mardi 23 avril 2013. Le frère de Liu Xia est y jugé pour fraude.

Liu Xia, l'épouse de Liu Xiaobo, le prix Nobel de la paix, est apparue en public pour la première fois depuis 2010 devant le tribunal de Pékin, où était entendu, mardi 23 avril au matin, son frère accusé de "fraude".
On ne doit la répercussion de cette apparition furtive qu'à l'image que l'un des neufs diplomates occidentaux présents sur les lieux a pu prendre avec son smartphone avant de la diffuser auprès de la presse étrangère et sur Twitter : on y voit Liu Xia, coiffée d'un bonnet et d'une doudoune noirs, dans la voiture de l'avocat Mo Shaoping, l'un des deux défenseurs de son frère. Mo Shaoping avait défendu Liu Xiaobo en 2009. "On était aux grilles du tribunal, on ne savait pas si Liu Xia était là, et on a été très surpris de la voir", explique l'un des diplomates sous couvert d'anonymat.
Les neuf diplomates n'ont pu assister à l'audience malgré leur demande, l'administration chinoise ayant fait valoir que "la salle était trop petite", l'excuse habituelle fournie chaque fois qu'un procès est sensible.
"Un peu après midi, Liu Xia est apparue sur le parvis, avec l'avocat Mo Shaoping. On était à une quinzaine de mètres d'elle, derrière la grille, elle sautillait de joie, nous a remerciés, a fait des signes. Ensuite, quand la voiture de Mo Shaoping est passée avec Liu Xia à l'intérieur, elle nous a dit de bien dire qu'elle n'était pas libre. Elle a aussi pleuré", poursuit le diplomate.
Liu Xia est ensuite allée déjeuner avec les deux avocats – sous surveillance policière, le groupe n'ayant pas été autorisé à rencontrer diplomates ou journalistes. Seuls Twitter et la presse étrangère ont rendu compte de l'événement, totalement censuré dans les médias chinois.
PAS LE DROIT DE RECEVOIR DES APPELS TÉLÉPHONIQUES NI D'ACCÉDER À INTERNET
La date du verdict n'est pas encore connue. Toute nouvelle de Liu Xia et a fortiori une apparition en public, sont précieuses : l'épouse du Prix Nobel de la paix 2010 est bloquée depuis deux ans et demi dans son appartement pékinois par un escadron de gardes en civil, qui n'autorisent aucune visite extérieure et expulsent manu militari les intrus. Elle n'a pas le droit de recevoir des appels téléphoniques ni d'accéder à Internet.
Cet isolement n'a pas de fondement juridique puisque aucune charge ne pèse sur Mme Liu, artiste de son état. Liu Xia est toutefois emmenée une fois par semaine chez ses parents, qui habitent à proximité, par les policiers, et une fois par mois à Jingzhou, la prison du Liaoning où est détenu Liu Xiaobo, qui a été condamné à onze ans de prison pour subversion du pouvoir de l'Etat.
Seules une équipe d'AP et, à plusieurs reprises, des militants chinois, ont pu rencontrer quelques minutes Liu Xia chez elle fin 2012 et début 2013 en trompant la vigilance de ses geôliers : ils en ont à chaque fois rapporté les appels à l'aide d'une Liu Xia en pleurs, traumatisée par l'isolement qui lui est imposé.
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Le procès du Liu Hui, l'un de ses frères, marque un tournant dans l'acharnement des autorités chinoises contre les proches du prix Nobel de la paix : promoteur immobilier, celui-ci est accusé, avec un partenaire, de fraude dans une opération immobilière à Pékin, pour laquelle le duo aurait empoché 3 millions de yuans (270 000 euros) qui devaient revenir à un autre entrepreneur.
Liu Hui a d'abord été arrêté en mai 2012, puis relâché sous caution. Sa réarrestation, le 31 janvier 2013, a alarmé la famille, puisque l'accusation a alors requis de douze à quatorze ans de prison. Ses avocats, Mo Shaoping et Shang Baojun, ont fait valoir que l'argent a été rendu et qu'il n'y a pas de preuve qu'un délit a été commis.
"Le juge nous a demandé de raccourcir notre plaidoirie à cinq minutes, car il voulait boucler au plus vite le procès, nous explique Shang Baojun, l'un des défenseurs de Liu Hui. C'était toutefois impossible, et il nous a laissé parler assez librement, même si on a dû abréger. Nos principaux arguments ont été que les faits ne sont pas clairement établis et que les preuves ne sont pas suffisantes. Les lois auxquelles le parquet a fait référence sont erronées et un certain nombre de procédures ne sont pas légales", poursuit-il.
UN PROCÈS EN MESURE DE RÉTORSION CONTRE LIU XIA
Ni la défense ni l'accusation n'ont mentionné Liu Xiaobo : "Il n'y a pas de lien direct avec lui et on n'essaie de ne pas en créer", explique Me Shang. Liu Hui "n'a pas reconnu les faits qui lui sont reprochés et a insisté sur son innocence", indique pour sa part Mo Shaoping, joint au téléphone mardi après-midi.
La présence de Liu Xia au tribunal au côté de son frère aîné, Liu Tong, et de l'épouse de Liu Hui, est le fruit de ses propres efforts, ont expliqué les avocats, qui disent n'avoir pas participé aux négociations.
Bouleversée par les ennuis de son frère, Liu Xia s'est mise à faire de la résistance, explique le militant Hu Jia, qui tient depuis plusieurs mois sur le Web une chronique en images de la séquestration de Liu Xia à l'aide d'images furtives de l'épouse de Liu Xiaobo à sa fenêtre, et fait partie du trio qui a forcé fin décembre 2012 l'entrée de sa résidence. "Elle n'en pouvait plus. Son mari est en prison et, désormais, ça allait être le tour de son frère", poursuit le militant de 39 ans, qui passa lui-même quatre ans en prison entre 2007 et 2011.
Liu Xia a ainsi déclaré qu'elle n'irait plus voir son mari si son frère restait en détention. "C'est assez paradoxal, reconnaît Hu Jia, car pendant longtemps son but était d'avoir la garantie de pouvoir voir son mari. Mais le fait est que le cas de Liu Xiaobo est une question brûlante pour les autorités, elles ont donc cédé en permettant à Liu Hui d'être défendu par ses deux avocats, et que Liu Xia puisse assister au procès. Il a aussi fallu que son frère aîné, Liu Tong, qui a gardé de bonnes relations avec les autorités, se porte garant", analyse Hu Jia, qui est bloqué à son domicile par des policiers depuis qurante-huit heures.
Selon le militant, l'arrestation de Liu Hui est un moyen de rétorsion contre le nombre croissant de visiteurs à la résidence de Liu Xia : "Toutes ces visites ont mis à mal le projet du pouvoir de cacher le fait que Liu Xia est séquestrée sans aucune base légale", explique-t-il. Hu Jia s'efforce grâce à ses observations de saper le cordon sécuritaire qui sépare Liu Xia du monde extérieur : il a ainsi reconnu sur une vidéo le policier qui a donné des coups à une équipe de journalistes et activistes hongkongais qui ont tenté en vain de voir Liu Xia en mars.
"Notre bataille ne s'arrêtera pas tant qu'elle n'obtient pas la liberté totale. Il n'y a pas d'autres solutions que de lui laisser plus d'espace ", déclare-t-il. "Ce qui s'est passé aujourd'hui est très positif : Liu Xia a pu prononcer quelques mots devant les diplomates et journalistes et a pu déjeuner avec les avocats. Cela faisait plusieurs années qu'aucun avocat n'avait pu la rencontrer. Ils ont donc pu parler de sa situation et de celle de Liu Xiaobo."
Brice Pedroletti
journaliste au Monde.fr